TENIR TETE A L’ORAGE
Thomas Vinau, N&B, 2010

La poésie est en crise, aucun doute là-dessus. S’il en était autrement, un garçon comme Thomas Vinau occuperait forcément, aujourd’hui, le devant de la scène, au même titre qu’en leur temps un René Guy Cadou, un Guillevic, voire même, soyons fous, un Eluard ou un Prévert. Faute de quoi, il en est encore à tailler péniblement sa place à la sueur de son stylo, et à frapper inlassablement aux portes de tous les responsables de petites revues et de tous les micro éditeurs qui, pas fous, n’ont généralement pas besoin de se faire tirer longtemps l’oreille pour publier ses vers.
C’est sous le patronage de Christian Bobin, le maître de l’« enchantement simple », que Thomas Vinau a choisi de placer son nouveau recueil : Tenir tête à l’orage. Et force est de reconnaître que ce choix est particulièrement judicieux. Car il y a de Bobin chez Thomas Vinau : du Bobin païen, débarrassé de cette bondieuserie qui ne manque pas d’agacer ceux qui, comme moi, n’ont pas l’heur de croire en dieu et en ses avatars.
Thomas Vinau est un expert du minuscule, un spécialiste de l’ineffable, du fugace, de l’impalpable. C’est un chasseur, toujours à l’affût pour saisir cet infime instant, ce millionième de seconde où l’existant trouve miraculeusement sa parfaite unité au travers d’une goutte de pluie, d’une feuille qui tombe ou d’un oiseau chantant sur la plus haute branche d’un arbre. Aucun jargon chez lui, aucune obscurité : ses vers s’enchaînent naturellement, sans emphase, et ses mots s’alignent sagement sur la papier, rétifs à toute velléité de déstructuration linguistique. Thomas Vinau se contente juste d’ouvrir son cœur, son âme et ses sens au monde qui l’entoure. Sa sensibilité aux choses et aux êtres est telle qu’elle s’apparente presque à celle d’une pellicule photographique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la « lumière » occupe une place essentielle dans son œuvre.
En fait, si ses poèmes nous touchent à ce point c’est parce qu’ils ne constituent pas de simples jeux de langue, de bêtes exercices littéraires n’ayant d’autre dessein que de nous titiller l’intellect. Ils sont beaucoup plus précieux que cela : ils sont les mille et une étapes d’une quête existentielle au cours de laquelle chaque pas franchi résonne comme une victoire sur soi-même. C’est sans doute pour cela que ses vers claquent comme des mots d’ordres, comme des coups de pieds aux culs du néant et de l’absurde ; comme des invitations à changer de vie, à changer de peau et à se réconcilier avec la nature, aussi bien la sienne que celle qui nous entoure : « Apprends la grâce inutile des décombres » ; « Ampute-toi, tu seras libre » ; « Cultive ta soif. Creuse tes sources » ; « Prends ce que personne ne t’offre » ; « Mets-toi dans le sens de la terre et germe » ; « Sauve un oiseau tu voleras ».
Apprendre à être soi, dans un monde qui pourrait être si accueillant, si on ne s’ingéniait pas désespérément à le rendre toujours plus complexe et plus laid. Écrire : écrire pour découvrir enfin qui on est, d’où on vient, mais surtout où on va : Écrire comme un chaton qui joue / à attraper sa queue. / Courir derrière soi sans s’atteindre vraiment. / Suivre son ombre. / S’apprendre.
Stéphane Beau
Blog du Magazine des livres, Novembre 2010

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