DYNAMITE ! UN SIECLE DE VIOLENCE DE CLASSE EN AMERIQUE
Louis Adamic, Sao Maï 2010

Louis Adamic, avec Dynamite, nous offre un livre aussi réjouissant que déprimant. Réjouissant, car il nous rappelle qu’un peu partout en occident – et plus spécifiquement aux Etats-Unis, puisque c’est l’objet de son étude, –, dès les premières heures de l’industrialisation, les ouvriers, les salariés et autres prolétaires se sont spontanément organisés pour s’opposer et résister à l’exploitation et à l’inhumanité des propriétaires et des patrons. Déprimant, car il faut bien avouer que le bilan de ce siècle de combat syndical (1830-1930) que nous décrit Adamic n’est pas follement positif : malgré les luttes et les confrontations les prolos sont finalement restés des prolos et les exploiteurs des exploiteurs.
Pourtant, dès les années 1860, les Molly Maguires, immigrés irlandais, avaient placé la barre particulièrement haut. Reproduisant un fonctionnement qu’ils pratiquaient déjà en Irlande, ils avaient pour habitude d’assassiner, sans autre forme de procès, tous les employeurs, contremaîtres ou autres représentants du patronat qui se comportaient de manière incorrecte avec l’un des leurs (refus d’embauche, diminution de salaire, licenciement abusif…). Et force est de constater que l’efficacité était au rendez-vous et que les employeurs y regardaient à deux fois avant de prendre de malencontreuses décisions… En 1875, le démantèlement de la société secrète des Molly Maguires marque la première grande victoire de l’« ordre » et de la « loi », fidèles alliés du capitalisme et de ses élites.
Ce qui ressort plus spécifiquement du livre de Louis Adamic, c’est que des Molly Maguires à l’exécution de Sacco et Vanzetti en 1927, si la violence a toujours été un des paramètres principaux des luttes sociales en Amérique, cette violence n’a jamais été l’apanage des seuls syndicalistes ou des contestataires de gauche. Bien au contraire : les patrons et autres défenseurs du capital, de leur côté, n’ont jamais hésité à utiliser la méthode forte pour écraser la main d’œuvre récalcitrante. Faisant régulièrement appel à des armées de mercenaires ou de briseurs de grèves toujours prêts à molester – voire tuer – les manifestants ou grévistes qui tombaient entre leurs mains, ils ont en outre toujours bénéficié du soutien total des autorités et des forces régulières : juges, policiers, gouverneurs, militaires… Pendant un siècle, les patrons ont ainsi pu brutaliser, humilier, massacrer un nombre effarant d’hommes, de femmes et d’enfants sans être jamais inquiétés (et encore moins condamnés).
De leur côté, les ouvriers et leurs représentants (syndicats tels que l’AFL ou l’IWW) ont vite compris que s’ils voulaient se défendre et faire valoir leurs droits ils ne devaient pas hésiter à avoir recours à la violence eux aussi : ils ont fini par embaucher des gorilles sachant tenir têtes aux briseurs de grèves. Ils ont à leur tour enrôlé des mercenaires capables de faire face aux fusils des soldats du patronat. Et surtout, comme l’indique le titre du livre d’Adamic, ils ont régulièrement fait usage de la « dynamite » pour semer le trouble chez leurs adversaires. Avec hélas, pour seul résultat pour les dynamiteurs, le plus souvent, de se mettre à dos toute une partie de l’opinion public et de finir leur vie dans un pénitencier ou au bout d’une corde. Car si la justice sait être conciliante quand le sang versé est celui des grévistes, elle est implacable lorsqu’il s’agit de celui d’un patron ou d’un défenseur de l’« ordre » capitaliste.
Dans les années 1930, la frontière entre la lutte sociale et la violence délinquante devient de plus en plus difficile à tracer : car à force d’accuser les pauvres d’être des bandits certains d’entre eux finissent par le devenir. Les syndicats cessent alors peu à peu d’être des contre-pouvoirs qui comptent : le système libéral se consolide et plus rien ne semble être en mesure de le faire vaciller car même ceux qui veulent s’y opposer sont obligés d’adopter ses méthodes.
Dynamite, même s’il décrit un contexte historique qui commence à dater et qui s’est déroulé dans un pays bien éloigné du notre, nous oblige pourtant à nous interroger sur ce que nous vivons nous aussi, aujourd’hui, en France. Là aussi, le système est en place et ils sont de plus en plus rares ceux qui croient encore sincèrement que l’en peut le bousculer. Au fil des ans les syndicats, qui ne savent plus rien faire d’autre que de rabâcher toujours les mêmes slogans, perdent leur crédibilité. Lors des manifestations ils se font maintenant voler la vedette, presque à chaque fois par les « casseurs », ces « délinquants » qui ne croient même plus aux lendemains qui chantent ! Et bien ces casseurs, ces délinquants, Dynamite nous les rend presque attachants car au fond on se dit que eux au moins, ces descendants des Molly Maguires, ils ont encore assez de tripes pour répondre par la violence à la violence, alors qu’ils savent très bien que la répression qui s’ensuivra sera toujours pour leur gueule, jamais pour celle de leurs adversaires… C’est pour cela que, paradoxalement, on en arrive à cet affligeant constat que contrairement à ce que nous serinent les médias, les politiciens et les bien-pensant, ces « sauvageons », cette « racaille », ces « voyous » ne doivent pas être tenus pour des inconscients qui mettent en péril la république : ils constituent bien plutôt le dernier rempart de l’idéal démocratique de 1789.
1789… La Révolution… Et la Marseillaise, ça vous rappelle quelque chose ? Mais si, la Marseillaise ! Pas celle que notre actuel président veut rendre obligatoire dans les stades de foot ! Non, celle que les émeutiers américains chantaient, il y a plus d’un siècle, de cela dans les rues de Boston ou de Chicago parce qu’ils voyaient encore en elle un véritable hymne à la liberté, à l’égalité et à la fraternité.
Cette Marseillaise là, le livre de Louis Adamic nous redonne presque envie de la refredonner… Ce qui n’est pas rien !
Stéphane Beau
Blog Non de non, Novembre 2010

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