NOIR DIPTYQUE
Jean-François Dormois, Le Moule à Gaufres, 2010

Noir diptyque... Il faut bien admettre que, finalement, ce titre on ne peut plus générique n’est pas mensonger. Car noires, elles le sont indéniablement, les deux longues nouvelles (ou courts romans ?) qui constituent le corps du bouquin.
De la même manière que les rats peuvent être des villes ou des champs, les polars peuvent être urbains ou ruraux. Là, pas de doute, nous sommes dans le second domaine, les deux pieds dans la boue, avec des héros qui, amoureux de leur solitude et soucieux de leur corps, passent l’essentiel de leurs congés à crapahuter dans les sous-bois, à pédaler ou à faire du ski de fond (sauf quand ils décident d’aller à la piscine pour changer un peu...).
La première des deux histoires, « G.R.13 », met en scène un coureur de fond amateur qui a pris l’habitude, à l’issue de chacune de ses excursions champêtres, de s’arrêter dans un petit village, toujours au même resto : chez Milou. Ambiance virile garantie : « C’est encore profondément rural, encombré de bric et de broc, hétéroclite à souhait, enfumé à trancher à la tronçonneuse, suant de tous les pores et de toutes les aisselles, avec un air bien bibiné, fort aviné, très anisé selon les heures […]. Oui, certains soirs, c’est un peu Délivrance, mais sans le banjo. »
Seulement, voilà qu’un jour, exit Milou, bonjour « Les Cariatides »... L’auberge a changé d’enseigne et de gérant : une belle Parisienne a pris le relais. Mais le héros découvre vite qu’une partie de la clientèle manque toujours cruellement d’éducation.
Le second récit, intitule « Jura, mais un peu tard », dépeint les tribulations d’un skieur de fond amateur (notez la nuance !) qui, en chemin, ouvre la portière de son combi Volkswagen à une mystérieuse auto-stoppeuse s’embarque du même fait dans un road movie jurassien au suspense ronde ment mené.
Bon, débarrassons-nous tout de suite de notre petit bémol, comme ça, ce sera fait : la logique du diptyque m’a laissé sur ma faim. Je m’attendais à deux histoires qui se complèteraient, s’éclaireraient mutuellement. Ce n’est pas vraiment le cas ; les deux récits se répètent un peu trop au contraire : même héros ayant les mêmes goûts pour le sport, la littérature, la tranquillité, les camionnettes aménagées, les cartes routières, la bière, les calembours, Neil Young et les luttes syndicales. L’écriture, dans les deux cas, est identique et certaines blagues se retrouvent mot pour mot dans les deux parties. Certes, on ne peut pas reprocher à l’auteur une certaine unité, mais de là à parler de diptyque... Bref.
Ce petit accès de mauvaise humeur ne retire d’ailleurs rien au plaisir pris malgré cela a la lecture de ce livre, car il faut reconnaître que Jean-François Dormois se tire très honorablement de son noir et délicat exercice de style. Sachant flirter avec les références (de Clint Eastwood à Simenon en passant par Manchette ou Daeninckx) sans sombrer dans la caricature, et sachant forcer le clin d’oeil sans tomber dans le cliché, il parvient à donner corps à un univers personnel attachant. Sa langue est pleine de vie et de trouvailles, et son humour, placé sous la double tutelle de l’Almanach Vermot et de Pierre Dac, fait presque toujours mouche : ainsi quand il explique que tel protagoniste était « plus énervé qu’une division de puces parachutées sur le chenil de la SPA » ou quand il évoque le « polystyrène... de Copenhague » voire « la saucisse de Morteau... sans faucille ».
Ses personnages enfin possèdent cette véritable dimension psychologique et humaine qui devrait être la clé de voûte obligatoire de tous les polars. Jean François Dormois nous apporte en effet une fois de plus la preuve que l’on n’a pas besoin de milliers de coups de flingues, de litres d’hémoglobine et de cascadés à n’en plus finir pour raconter de belles histoires. Et rien que pour cela, déjà, il mérite grandement d’être félicité et encouragé à poursuivre.
Et un coup de chapeau, pour conclure, à l’illustrateur, Samuel Kac, dont on sent qu’il s’est pleinement investi dans le projet et ne s est pas contente de plaquer des planches toutes faites sur le texte de l’auteur.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°28, janvier 2011.

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