LA FEMME UNIDIMENSIONNELLE
Nina Power, Les Prairies ordinaires, 2010

Que reste-t-il, aujourd’hui, du féminisme ? C’est la question que nous pose Nina Power, – philosophe anglaise et traductrice d’Alain Badiou –, dans La Femme unidimensionnelle (titre, qui fait explicitement référence à L’Homme unidimensionnel de Marcuse). Sa réponse, qui va sans aucun doute faire grincer quelques dents est : pas grand-chose ! Car, précise-t-elle, « si l’on en croit le portrait type de la féminité, pour une femme d’aujourd’hui le summum de la réussite résiderait dans la possession de coûteux sacs à main, d’un vibromasseur, d’un appartement et d’un mec – sans doute dans cet ordre. »
Selon elle, en effet, le féminisme n’a pas su tenir ses promesses, à savoir libérer les femmes, œuvrer à leur émancipation. Certes, de nos jours, on peut voir de plus en plus de femmes accéder aux plus hautes fonctions, détenir des pouvoirs majeurs, se hisser à des postes honorifiques desquels elles ont été longtemps tenues écartées. Mais ce ne sont là que des exceptions qui, non seulement ne changent rien au fait qu’une grande majorité de femmes reste dans des positions inférieures dans plein de domaines (économiques, politiques, institutionnels, scientifiques…), mais en plus tendent à imposer une image de la femme qui n’a plus grand-chose à voir avec la logique même du féminisme. Car ces femmes d’exceptions se contentent bien souvent de reproduire le modèle masculin dans ce qu’il a de moins glorieux : bellicisme, exploitation, moralisme (certaines de ces femmes « modèles » étant même parfois de farouches ennemies de l’avortement, de la liberté sexuelle, d’un réel partage des tâches, bref, de parfaites « anti-féministes ».
Pire encore : loin d’avoir généré un rapport plus équilibré et plus humains entre les sexes, le féminisme contemporain a essentiellement servi à aliéner encore plus la femme en la jetant dans le bain du libéralisme et du consumérisme. La femme d’aujourd’hui n’a pas grand chose de plus que son aînée des années cinquante. Ou si, elle est devenue une « travailleuse urbaine en talons hauts, [une] intérimaire flexible, [une] hédoniste qui travaille dur pour dépenser ses revenus en vibromasseurs et en vin », à tel point qu’il devient évident, pour Nina Power que « oui, effectivement, le capitalisme est le meilleur ami des filles. »
Le féminisme, non seulement, n’a pas eu les effets espérés, mais il a même été régulièrement détourné par le système dominant pour justifier des pratiques qui n’ont rien de fondamentalement féministes. La croisade occidentale contre la condition féminine dans les pays islamistes, par exemple, qui a permis à certains pays occidentaux particulièrement rétrogrades sur la question de la sexualité, de l’avortement ou sur l’exploitation professionnelle des femmes, de jouer les redresseurs de tort à moindre frais. Sans parler de toute la mécanique publicitaire qui a réussi à faire en sorte que les femmes « libérées » d’aujourd’hui fument et boivent presque autant que les hommes, qu’elles s’intéressent au foot et achètent des voitures. Même la délinquance féminine tend à rattraper celle des hommes ! Sacré victoire… Un grand pas pour l’égalité… mais un triste recul pour l’humanité !
Le bilan du combat féministe est donc particulièrement inquiétant : la femme n’y a pas gagné grand-chose, si ce n’est le droit d’être soumise comme les hommes au diktat du système libéral qui réduit tout rapport humain à des notions de rentabilité et de performance. Tout ça parce qu’une grande partie des « féministes » a perdu depuis trop longtemps de vue le fait que le véritable ennemi de la femme, ce n’est pas l’homme, mais le système.
La Femme unidimensionnelle tire régulièrement vers le pamphlet, ce qui en rend la lecture particulièrement agréable. Ce qui ne retire toutefois rien au sérieux de son approche qui ouvre la porte à de multiples et passionnantes cogitations (même si on aurait parfois apprécié des réflexions un peu plus développées). Un livre référence, néanmoins, pour toutes celles et tous ceux qui ne s’y retrouvent plus dans les discours stéréotypés qui prédominent encore trop souvent, aujourd’hui sur la question du féminisme.
Stéphane Beau
Blog Non de non, Octobre 2010

2 commentaires:

  1. Ca quand même un peu léger, elle développe assez peu ses arguments. Elle donne des exemples concrets (S. Palin) et c'est intéressant, mais ça ne peut pas remplacer complétement l'argumentation. Le point positif c'est que la lecture est assez facile et donne des pistes de réflexion... mais il faudrait une suite, où elle analyserait plus en détail l'appropriation du "féminisme" par des "anti-féministes", la perception actuelle du féminisme.Par exemple ses idées sur la pornographie sont intéressantes, mais j'ai eu le sentiment que ça n'avait pas été approfondis, et c'est la même chose pour la famille bourgeoise. L'une des idées que j'aurais aussi aimé qu'elle développe c'est la réduction à l'apparence, elle utilise pas mal l'automutilation pour en parler, mais il y a sans doute beaucoup à en dire et perso je ne comprends pas pourquoi elle l'aborde sous cet angle. Enfin bref... j'attends une suite plus conséquente.

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