UN RUDE ETE
Roger Wallet, Éditions du Petit véhicule, 2009

Voilà un livre bien difficile à classer ! Un peu court pour un roman… Un peu long pour une nouvelle… Guère d’intrigue d’ailleurs, ni de chute, à proprement parler (quelques chutes de rein, certes, mais ça n’a rien à voir). Un récit, alors ? Bof… Il y a une trop grande force fictionnelle dans ce texte pour le cataloguer ainsi… En fait, ce qui conviendrait le mieux pour qualifier Un rude été, ce serait, peut-être, « fantaisie littéraire »… Fantaisie, friandise, pétillement, malice, autant de mots qui viennent spontanément aux lèvres quand on se laisse aller à suivre le personnage principal du livre, René Lehallier, au fil de ses pérégrinations quotidiennes.
L’histoire se passe juste après la guerre, dans le nord-est de la France, à Beauvais. La ville est en pleine reconstruction. Alors que les maisons closes vivent leurs dernières heures, un sous-préfet local, bête comme un âne (mais tout aussi bien monté paraît-il) passe brutalement l’arme à gauche dans les bras d’une brave prostituée, chez Madame Auguste, au n°23. Ah ! un polar vous exclamez-vous ! Non plus... désolé… Car cette mort, même si elle est due à un puissant poison asiatique qu’une main malintentionnée a versé dans les petits verres de calva que la crème locale s’enfilait entre deux parties de jambes en l’air, cette mort, donc, reste secondaire et anecdotique.
Tout ceci est bien beau, mais de quoi parle ce livre, alors ? Et c’est là que le chroniqueur que je suis, assis face à son ordinateur, commence à soupirer et à se trémousser sur son siège ! Ben oui ! Il est gentil Roger Wallet, mais il ne nous facilite pas la tâche ! Que dire ? Que tout au long du livre, son héros promène dans les rues de la ville sa dégaine d’ancien colon, incollable sur la question du café et de ses origines ? Qu’au fil des pages le bonhomme, bourru et peu enclin à la tendresse à l’égard des gauchistes, des homosexuels et des poètes branchés, s’avère être beaucoup plus complexe et riche qu’il n’en a l’air ? Qu’à l’aube de la soixantaine, cet habitué des lupanars se redécouvre fleur-bleue dans les bras de la nurse de ses petites nièces, une drôle d’anglaise vaguement espionne ? Qu’il se laisse prendre aux charmes de Queneau et Radiguet et que lui-même, finalement, se prend à rêver de taquiner les muses à son tour ?
Que dire, si ce n’est que ce livre est merveilleusement écrit, dans un style généreux, débordant de bons mots, d’anglicismes joyeusement francisés ? Chaque phrase est ciselée à l’ancienne et l’on a parfois l’impression de se retrouver, avec Audiard, au beau milieu des Tontons flingueurs :
René, on l’a dessoudé !
Lehallier accusa le coup :
– Dessoudé ?
– C’est sûrement dans le crémant ki zavaient mis la chose.
– Empoisonné ! (l’autre opina) Mais cékikafessa ?
Krazpek avait été formel : « Pas un de ces poisons brutaux de chez nous, genre arsenic ou strychnine, qui vous laissent la bête dans un sale état », avait-il précisé, « Non, quelque chose de plus subtil, de plus… féminin ! »
– Il a dit féminin ? s’étonna Lehallier.
– Remarque, quand tu montes au 23, c’est rarement avec l’homme d’entretien…
Roger Wallet nous démontre avec ce petit livre (et avec brio, par la même occasion) que dans ce vaste univers surencombré qu’est la littérature, il subsiste encore de subtils espaces où l’on peut venir caser quelques inclas-sables ovnis. Et comme, grâce aux magnifiques reliures à la chinoise que proposent les éditions du Petit véhicule depuis quelques années, ce curieux livre n’est pas seulement agréable à lire, mais est aussi un superbe objet, vous n’avez plus aucune excuse pour ne pas aller illico le commander chez votre libraire préféré !
Stéphane Beau
Le Grognard, mars 2010

2 commentaires:

  1. Je découvre votre chronique et le sourire me vient spontanément aux lèvres. Oui, ce livre est une "fantaisie", quelque chose de délicieux à mettre en bouche, une petite "gâterie" (hum ! hum !...) Merci de l'avoir lu avec un plaisir gourmand et en renonçant, cette fois-ci, à y chercher quelque chose de fort. Mon prochain livre sera tout l'inverse : des portraits de femmes exilées. Témoignages récrits. Assez violent. Je vous informerai de sa sortie (fin septembre aux éditions du petit véhicule).

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  2. Excellente nouvelle ! Vivement septembre, alors...

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