LA CULTURE DES INDIVIDUS – DISSONANCES CULTURELLES ET DISTINCTION DE SOI
Bernard Lahire, La Découverte, 2002

Bernard Lahire signe là un livre important pour la reconnaissance de l’individu dans le domaine de la sociologie. Il s’agit d’une importante étude (778 pages) sur les pratiques culturelles des individus où s’entrecroisent passages théoriques et retranscriptions nombreuses d’entretiens. L’idée de base de Lahire : l’individu ne peut pas être réduit à une catégorie représentative (homme, ouvrier, retraité, diplômé du supérieur. L’individu est un être « pluriel » et ses pratiques ne peuvent pas être toujours consonantes. Lahire constate ainsi que dans toutes les catégories sociales on trouve des individus qui ont des pratiques culturelles qui ne se rattachent pas « logiquement » à leur classe. Des ouvriers peuvent écouter du classique, des universitaires regarder des séries télé américaines… Ces dissonances, loin d’être des accidents sont, statistiquement, majoritaires.
Au fil du livre, Lahire règle quelques comptes avec Bourdieu et prend ses distances avec les analyses de ce dernier dans La Distinction et rediscute les notions d’habitus, de champs…
Mais l’intérêt principal de l’ouvrage réside essentiellement dans cette remise en lumière de la question individualiste, question trop systématiquement laissée de côté par les sociologues depuis les origines de la discipline. Dans le Post-scriptum du livre, Lahire propose une critique intéressante de Durkheim et de tout ce que sa méfiance à l’égard de l’individu a entraîné comme dommages à la sociologie. Il rappelle que l’individu peut (et doit) être un objet d’étude sociologique, que si le fait social peut avoir une réalité propre indépendante des individus, ces derniers existent néanmoins individuellement et leurs pratiques ne sont pas toutes réductibles aux stricts découpages des faits sociaux.
Les limites que nous notons dans cet ouvrages sont les mêmes que celles que nous trouvons également à la plupart des livres de sociologie qui s’ouvrent aujourd’hui à la question individualiste. Lahire semble en effet, d’une certaine manière, juste découvrir que l’individu existe ! Il semble découvrir que l’homme est pluriel, que la multiplication des expériences sociales et humaines a une influence sur les individus, que ces derniers sont, par rapport à autrui mais aussi à eux-mêmes dans une logique de lutte où se mêlent logiques de différenciations et logiques d’imitations… Ce que des auteurs comme Palante, Tarde, Simmel sans parler de nombre de penseurs anarchistes ou de philosophes comme Stirner ou Nietzsche, n’ont cessé de répéter depuis plus d’un siècle… Que la sociologie revienne à l’individu, c’est bien, mais que les sociologues qui se lancent dans cette voie essayent de nous faire croire, comme si de rien n'était, qu’ils pénètrent dans un territoire jamais exploré, c’est un peu grotesque.
A lire tout de même car l’ouvrage est riche, intelligent et bien construit.
Stéphane Beau
Site Georges Palante, 2004

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire