HISTOIRES HETEROCLITES
Remy de Gourmont, Les Âmes d’Atala, 2009
Remy de Gourmont est, à mes yeux, un des plus étonnants personnages littéraires du XIXe siècle. Je dis bien « personnage littéraire » et non pas « écrivain » car, comme cela advient souvent chez moi, c’est moins l’auteur que j’aime en lui que l’homme.
Curieux bonhomme, en effet, que ce normand, qui débarque à Paris en 1880 et qui passera la moitié de sa vie dans les salles de lecture de la Bibliothèque Nationale, et l’autre moitié cloîtré chez lui pour des raisons de santé. Difficile de trouver homme de lettres plus discret, plus humble et moins mondain que lui. Jamais il n’a joué des coudes pour se tailler une place dans le monde. Longtemps d’ailleurs – et aujourd’hui encore, sans doute – il n’a été considéré, dans l’univers des lettres et dans les milieux éditoriaux, que comme un « second couteau » attachant, certes, mais moins essentiel que quelques uns de ses contemporains beaucoup plus charismatiques : Joris-Karl Huysmans, Stéphane Mallarmé, Octave Mirbeau…
Cela ne l’a pas empêché, malgré tout, de se tailler une place majeure dans ce panier de crabe qu’est le microcosme des lettres aux alentours de 1900. Et cette place, il se la taille sans intrigues, sans magouilles et sans coups bas, mais grâce à sa gentillesse et à son incommensurable érudition, grâce à sa curiosité sans borne qui le pousse à s’intéresser à tout, aux lapons comme à la philosophie, au latin mystique comme au symbolisme ; grâce, enfin, à son extrême ouverture aux autres, à leurs travaux, à leurs écrits, à leurs pensées, ouverture dont il a laissé une trace majeure dans ses Promenades philosophiques et littéraires qui servent toujours de bases biographiques incontournables à nombre de chercheurs en quête d’informations sur les auteurs de cette époque.
« Second couteau », Remy de Gourmont ? C’est possible. Mais second couteau capital, à l’instar de beaucoup d’illustres seconds rôles du septième art, sans lesquels tant de films prestigieux n’auraient été que des navets…
Certes, une grande partie de son œuvre a vieilli. J’ai personnellement un peu de mal, aujourd’hui, à me coltiner la partie la plus « symboliste » de ses écrits. Certains « tics » et autre procédés littéraires utilisés par Gourmont sont depuis longtemps éculés. Mais ce serait une erreur de vouloir vouer pour autant à l’oubli l’auteur de Sixtine car son œuvre dépasse, et de beaucoup, son attachement au symbolisme.
C’est ainsi que la compilation de nouvelles de Remy de Gourmont, tout récemment publiée, par les Âmes d’Atala sous le titre d’Histoires Hétéroclites est particulièrement la bienvenue. Car, comme l’explique à très juste titre Mikaël Lugan, dans sa lumineuse postface, « c’est l’un des intérêts de ce volume […] que de donner à lire l’évolution d’un style »
Le sommaire aligne en effet vingt-cinq nouvelles, écrites entre 1885 et 1914, qui offrent un panorama très complet des univers gourmontiens où l’amour et la mort s’entrecroisent de manière récurrente. On y retrouve un Gourmont très symboliste et sombre, bien sûr, notamment dans la suite de textes rassemblés sous le titre de Destructeur, mais aussi le Gourmont philosophe (le Premier homme), naturaliste (le Petit médecin), chroniqueur judiciaire (Hélène Jégado)… Bref, un parfait cocktail, aussi bien pour les spécialistes que pour celles et ceux qui découvriraient cet auteur avec ce livre.
Et puisque nous parlons des Âmes d’Atala, profitons de l’occasion pour signaler que cette petite maison d’édition, aussi généreuse que volontaire, vient de faire paraître le troisième numéro de sa revue intitulée Amer. La thématique porte cette fois sur le « cœur ». L’esprit de cette revue (sous-titrée « Revue finissante ») est on ne peut plus fin de siècle. On y parle de Jules Laforgue, de Paul Adam, de Félix Fénéon ; on y reprend des textes de Han Ryner, d’Elisée Reclus, de Charles Péguy. On y déniche enfin quelques entretiens très instructifs, notamment un passionnant débat avec Caroline Granier, auteur d’une thèse sur les « briseurs de formules » (éditions Ressouvenances), autrement dit les romanciers et autres poètes anarchistes de la belle époque (dont Darien est probablement le représentant le plus connu).
Voilà donc une petite maison d’édition qu’il conviendra de surveiller de près dans les mois qui viennent !
Stéphane BeauLe Magazine des livres n°23, mars 2010
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