PROMENADES PHILOSOPHIQUES
Pierrick Hamelin, Editions Les Perséides, 2009
CONTES POUR LES METAPHYSICIENS
Louis Prat, ouvrage présenté par Goulven Le Brech, Editions Ollé-Lacour, 2009

Comme chaque semaine, ma boîte aux lettres me délivre généreusement son lot de livres, revues et autres ouvrages plus ou moins bienvenus : de quoi augmenter un peu plus ma pile de lectures en retard... Normalement, les derniers bouquins reçus prennent sagement leur place en queue de peloton, mais il arrive parfois que certains d’entre eux échappent à cette règle et coiffent tous leurs concurrents au poteau. C’est ce qui s’est passé avec les Promenades philosophiques de Pierrick Hamelin : aussitôt le paquet ouvert, fidèle à mon habitude, j’en ai parcouru les premières lignes, puis les suivantes, et les suivantes encore... deux heures plus tard, je terminais la dernière page !

Qui ne s’est jamais laissé aller, dans un moment de rêverie, à engager un dialogue virtuel avec les auteurs, penseurs ou philosophes qui hantent son panthéon intime ? Si ce n’est pas le cas pour vous, moi, cela m’arrive presque tous les jours. Je ne compte plus les conversations à bâtons rompus que j’ai pu avoir avec Nietzsche, Laforgue, Huysmans, Georges Palante ou Jules de Gaultier... Et apparemment, Pierrick Hamelin est non seulement atteint du même virus que moi, mais nous partageons, en outre, un certain nombre d’amis communs, ce qui ne gâte rien... Ainsi, au fil des huit promenades qui composent son recueil, l’auteur part à la rencontre des écrivains qu’il aime : Jules de Gaultier (nous sommes au moins deux, donc !), Schopenhauer, WiIde, Powys, Leopardi, Rensi, Baudelaire... Chaque dialogue est exposé comme s’il s’agissait d’une véritable rencontre : Wilde est croisé dans un bistrot en compagnie de Louÿs et de Gide, Jules de Gaultier dans sa petite maison en Bretagne, Powys dans sa campagne anglaise...

Les dialogues qui s’instaurent entre le narrateur et ses illustres interlocuteurs se lisent comme des nouvelles tant Pierrick Hamelin s’est attaché à donner une véritable « chair » à ses personnages et une solide consistance aux contextes. Ce qui ne l’empêche pas, à chaque fois, de se lancer dans des discussions philosophiques, métaphysiques ou esthétiques aussi sérieuses que passionnantes, discussions dont on constate d’ailleurs au fil des pages que, malgré leur caractère apparemment décousu, elles produisent au final un ensemble d’une belle cohérence.

Au travers de ces Promenades philosophiques – titre on ne peut plus « gourmontien » –, c’est toute une réflexion sur le rapport au monde qui se met en place, en douceur, sans discours pesants ni verbiages incompréhensibles. Comment trouver sa place dans un monde où l’illusion est reine ? Quelle attitude adopter sur une terre où tout est éphémère, où toute jouissance est vaine, où tout est absurde, et où toute tentative de dépassement de cette absurdité, que ce soit dans le domaine de l’esthétique, du dandysme, de la philosophie, de la mystique ou de l’action, est vouée à l’échec ? Le club des pessimistes (Schopenhauer, Leopardi, Rensi et compagnie) s’en donne à coeur joie, sur ce registre, sous la plume de Pierrick Hamelin qui, avec un bel humour, s’amuse néanmoins à pointer les contradictions de ces illustres zélateurs du pire : Schopenhauer, partagé entre son amour des chiens et sa vanité d’écrivain, Leopardi et sa passion pour les sorbets...

Et puisque nous sommes dans le domaine de la philosophie, du romanesque et des rencontres improbables, c’est avec grand plaisir que je signale ici, par la même occasion, la réédition, chez Ollé-Lacour, des Contes pour les métaphysiciens de Louis Prat (ouvrage publié originellement en 1910, et brillamment présenté et annoté, dans cette nouvelle version, par Goulven Le Brech). Disciple de Renouvier et spécialiste de Jules Lequier, Louis Prat est également un grand ami du philosophe Georges Palante (qui était lui-même un proche de Jules de Gaultier et un grand lecteur de Schopenhauer). Il a également eu pour professeur et ami le philosophe Octave Hamelin dont Pienick Hamelin nous dit, dans ses Promenades philosophiques – est-ce vrai ? – qu’il est un de ses descendants ! Comme quoi, comme disait Pierre Dac, autre grand philosophe : « Tout est dans tout et réciproquement ».

Louis Prat (1861-1942), est un curieux bonhomme, et sa pensée est particulièrement attachante en ceci que, malgré une lucidité exemplaire qui le force à prendre acte de l’absurdité du monde qui l’entoure, de la folie des hommes – il sera très marqué par la Première Guerre mondiale –, il refuse de se laisser emporter par les flots sombres du pessimisme. Toute sa vie il recherchera un principe d’harmonie supérieure susceptible, malgré les horreurs de la vie, malgré les illusions perverses, malgré les souffrances, les misères et autres crasses qui constituent notre réalité quotidienne de donner un sens à sa vie. Ses Contes pour les métaphysiciens se découpent en trois tableaux, les Réalités, les Vérités, les Mystères au cours desquels le héros, Bernard Carol reçoit, en songe, trois visites : celles de M. Pinguet, négateur de tout espoir, de Sophia, voix de la sagesse, et d’Ariel, annonciatrice d’une harmonie possible.

Ces Contes pour les métaphysiciens composent un livre aussi curieux qu’attachant, malgré quelques imperfections, car Louis Prat s’y montre tellement sincère, tellement habité par cette quête de sens qui est la sienne, que ses réflexions nous entraînent bien au-delà de la philosophie : là où la réflexion n’est plus seulement un exercice intellectuel, mais le lieu d’un drame existentiel dont on peut aussi bien ressortir victorieux et apaisé que perdant et les pieds devant (comme ce sera le cas pour Palante, par exemple, qui se suicidera en 1925).

Bref, deux beaux ouvrages qui nous rappellent, pour notre plus grand bonheur que la philosophie n’est pas forcement une discipline obscure et ennuyeuse, mais que pour un peu que l’on tombe sur des auteurs de talent, elle peut devenir captivante, essentielle, vitale, et se lire comme un véritable thriller !


Stéphane Beau

Le Magazine des livres, n°19, septembre 2009

2 commentaires:

  1. c'est une lecture super agréable, on y apprend beaucoup sur les idées de ces philosophes abordés avec une plaisante pointe d'humour..
    Maryse.

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  2. Très bon livre en effet, qui aborde très simplement et ludiquement des questions bien complexes. Belle galerie de portraits aussi...

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