NIETZSCHE ET LA PROBITE
Louis Godbout, Liber, 2009


Le Nietzsche et la probité, de Louis Godbout est sans aucun doute un des livres les plus intelligents que j’ai lu sur Nietzsche depuis bien longtemps. Et Dieu sait pourtant que le philosophe à moustache inspire à longueur d’année, et cela depuis des décennies,  son lot de commentateurs.
L’idée de Godbout est simple : le plus important, pour Nietzsche, ce n’était pas la Vérité ou la véracité, comme on l’a parfois prétendu, mais la « probité », curieuse notion qui se situe à la fois en deçà et au-delà de la Vérité. Car pour Nietzsche, « la question préalable n’a jamais été posée : le problème du sens de la volonté de vérité est logiquement antérieur à celui de la vérité. Cette mise au jour de la nature problématique de la volonté de vérité, de la véracité platonico-chrétienne, constitue la contribution proprement nietzschéenne à la critique philosophique » (p.223). Autrement dit, comme le souligne Louis Godbout : « ce qui est impardonnable chez un philosophe n’est pas l’erreur mais le relâchement de son souci pour la vérité ».
Tout au long de son étude, Louis Godbout s’applique à démontrer, avec beaucoup de finesse, comment cette quête de la probité qui s’élabore tranquillement, tout au long de l’œuvre de Nietzsche, constitue un fil directeur aussi simple qu’efficace qui permet de donner un sens et une certaine unité à l’ensemble de ses écrits, quels que puissent être leurs éventuels degrés de contradiction.
Parmi les chapitres les plus marquants, signalons celui que l’auteur consacre à l’influence des moralistes français sur la pensée de Nietzsche, de La Rochefoucauld, mais aussi de Montaigne et de Pascal auxquels le philosophe allemand ne cessera jamais de faire référence, non pas parce qu’il se retrouve particulièrement dans leurs conclusions, mais parce que leur démarche, en terme de probité, est extrêmement voisine de la sienne.
Signalons également la lecture inhabituelle mais très intéressante que Louis Godbout fait de la notion de « surhumain » en tant « qu’enfance retrouvée », c’est-à-dire, comme retour sur sa propre innocence, sur son propre moi, sur sa propre lucidité. Cette approche, certes quelque peu déroutante a au moins l’avantage de nous apporter un éclairage original sur la notion d’amor fati, chère à Nietzsche et, elle aussi, bien trop souvent commentée de manière très discutable. Ainsi, cette réconciliation avec soi-même et avec sa propre lucidité qu’implique le surhumain (c’est-à-dire, le retour à l’innocence originelle et enfantine) « est aussi, indirectement, une façon de se réconcilier avec la vie. Tel est selon nous le sens de l’amor fati : par sa résolution d’embrasser pleinement cette conscience élargie par deux mille ans de volonté de vérité, Nietzsche ne pose pas le principe d’une éthique nouvelle, mais prend acte du fait que la seule réconciliation possible pour le philosophe, comme pour la conscience platonico-chrétienne en général, est d’assumer jusqu’en ses conséquences ultimes son effort de lucidité » (p.225).
Nous ne pouvons nous permettre ici de survoler que quelques aspects de la richesse du livre de Louis Godbout. Mais chaque page peut servir de tremplin à des réflexions et à des extrapolations infinies. Bref, un livre à ne manquer sous aucun prétexte si vous aimez Nietzsche.
Stéphane Beau
Le Grognard n°10, juin 2009

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