L'ANARCHIE
Élisée Reclus, Mille et une nuits, 2009
La révolte est à la mode. En quelques semaines, grâce à la bêtise conjointe des autorités et des médias, Julien Coupat, obscur râleur, s’est hissé au statut de nouvelle icône de la rébellion. L’Insurrecion qui vient, livre dont on suppose qu’il est l’auteur, est devenu un best-seller. Noam Chomsky publie un nouveau bouquin tous les mois que l’on peut trouver dans presque toutes les maisons de la presse, entre le dernier Marc Lévy et les confessions de Lance Armstrong… De la même manière, on ne compte plus les magazines, journaux et revues qui ressortent des dossiers sur Marx, sur l’anti-capitalisme, sur la désobéissance civile… Sur le fond, tout cela n’est pas pour me déplaire même si je reste profondément perplexe : quand la condamnation du capitalisme et de ses méfaits devient un produit de consommation comme les autres il y a matière, à mon sens, à s’inquiéter. À ce titre, le comble du paradoxe a été atteint, il y a quelques mois de cela, avec la publication d’un petit manifeste intitulé Ne sauvons pas le système qui nous broie (éditions Le Passager Clandestin) que l’on trouve un peu partout... dans un grand nombre de supermarchés !!
Pourquoi faire la fine bouche me direz-vous ? Si ces livres se vendent de plus en plus c’est que le public qui leur trouve un intérêt augmente de manière conséquente ! Pas si sûr : les dernières élections montrent très bien que les partis censés porter ces idées ne dépassent pas le niveau des pâquerettes. Alors, la révolte ? Nouveau joujou pour bobos et autres cadres moyens qui, entre deux tours de 4X4 et deux investissements en bourse ont besoin de se donner l’illusion qu’ils ont su rester cool et ouverts d’esprit…
C’est dans ce contexte que les éditions des 1001 nuits rééditent L’Anarchie d’Élisée Reclus, agrémentée d’une très intelligente présentation signée Jérôme Solal. Excellente idée au demeurant que cette réédition, car cet étonnant bonhomme, géographe érudit et poète, ami de Bakounine et de Kropotkine, sorte de grand père spirituel de Kenneth White, mérite grandement d’être redécouvert. Mais la relecture, en 2009, du texte de cette conférence prononcée en 1894 à Bruxelles laisse forcément quelque peu perplexe. Certes, les idées sont belles, la croyance en la possibilité d’un monde meilleur, plus égalitaire, plus soucieux du libre épanouissement des individus ne peut que nous convenir. Mais ce monde, où est-il ? Il y a 115 ans de cela Élisée Reclus écrivait : « Notre nouveau monde point autour de nous, comme germerait une flore nouvelle sous le détritus des âges. Non seulement il n’est pas chimérique, comme on le répète sans cesse, mais il se montre déjà sous mille formes : aveugle est l’homme qui ne sait pas l’observer ».
Aveugle ? Bon, alors je vais de ce pas prendre un nouveau rendez-vous avec mon ophtalmologiste !
Stéphane Beau
Le Grognard n°11, septembre 2009
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