ISIDORE LISEUX, 1835-1894, UN GRAND « PETIT EDITEUR »

Paule Adamy, Éditions Plein Chant, 2009



On me reproche souvent mon pessimisme en ce qui concerne l'avenir des livres et leur éventuelle disparition. Avec raison, peut-être...  Même si le magnifique travail que Paule Adamy a fait paraître, il y a peu, aux éditions Plein Chant, plaide fortement en ma défaveur !

Enfin, en ma défaveur... C'est à voir, car la très minutieuse étude que Paule Adamy consacre à Isidore Liseux, ce grand bibliophile, éditeur de textes rares et licencieux, peut s'appréhender selon deux points de vue :

1) Soit comme une preuve que l'esprit des amateurs de livres – de ces lecteurs qui ne jugent pas de la qualité d'un livre au nombre d'exemplaires vendus ou au fait qu'on en parle à la télé – que cet esprit, dis-je, n'est pas mort et que les Paule Adamy et autres responsables des éditions Plein Chant sont de très dignes descendants de la lignée des Poulet-Malassis, Kistemaeckers, Uzanne et compagnie...

2) Soit au contraire, que des livres de ce genre, condamnés à un quasi anonymat, ne soient que les derniers vestiges, les ultimes échos d'une époque désormais révolue. Que voulez-vous, le pessimisme ne se guérit pas aussi aisément !

Isidore Liseux était un de ces éditeurs dont la passion de l'édition était intimement mêlée à un projet intellectuel précis : s'opposer à tous les obscurantismes : scientifiques, religieux, sexuels... Il ne s'agissait pas pour lui d'éditer des livres pour se faire une place dans le monde ou pour acquérir un quelconque pouvoir sur ses contemporains. Non, Isidore Liseux a vécu toute sa vie en jouant à cache-cache avec les créanciers et avec les représentants de la justice. Obligé de déménager à plusieurs reprises, montré du doigt par les plus prudes de ses contemporains, il a poursuivi coûte que coûte sa quête du texte rare, de la brochure oubliée, du roman perdu. Et il a réédité, secondé par son fidèle bras droit, Alcide Bonneau, tous les plus grands classiques de la littérature érotique et critique à l'égard des puissants de ce monde. Ce travail, il l'effectue d'ailleurs sans se prendre au sérieux plus qu'il ne le faut car, comme il le dit lui-même : « que faire quand la vie s'obstine et qu'on n'a pas de goût pour le suicide ? Éditer, éditer sans cesse. » (p.55)

Le livre de Paule Adamy, malgré son sujet très pointu et l'extrême richesse de son exposé, se lit presque avec autant de plaisir qu'un roman. Le style est vif, souvent chargé d'humour et les chapitres s'enchaînent avec beaucoup d'intelligence, nous entraînant dans la vie quotidienne de Liseux et de ses acolytes : Paul Lacroix, Charles Unsinger, Octave Delepierre... L'auteure nous invite également à savourer quelques extraits de ces incroyables ouvrages qui constituent le fond des éditions d'Isidore Liseux : des textes de l'Arétin ou de Restif de la Bretonne, des pamphlets : La Purana errante, des monuments de l'érotisme médico-judiciaire tels que le Traité des hermaphrodites de Jacques Duval, des éloges de la pédérastie : Juvenilia du bien nommé Théodore de Bèze, et mille autres pépites toutes plus succulentes les unes que les autres.

Bref, un livre que l'on est fier d'enfermer dans sa bibliothèque et que l'on n'a de cesse de prendre et de reprendre pour en relire tel ou tel passage ou pour y rechercher quelques informations précieuses au sein des index des titres et des auteurs.

Concluons cette note par un petit extrait tiré de La Cazzaria d'Antonio Vignale qui nous explique enfin pourquoi la nature a-t-elle fait la motte poilue : « Si les poils que la Nature a mis sur la motte n'y étaient pas, l'homme et la femme se seraient rarement foutus sans que l'un des deux pubis par le frottement, ne se fut pelé ou abîmé ; c'est pourquoi la prévoyante nature y avait apporté remède en leur mettant une toison laineuse tout autour ».

Vous ne savez toujours pas quoi vous offrir à Noël ?...

Stéphane Beau

Le Grognard n°12, décembre 2009

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