ELEPHANTS DE LA PATRIE
Jimmy Gladiator, Editions Libertalia, 2008

Vous avez adoré les aventures de Fantômas, les péripéties de Signé Furax ? Vous êtes un indécrottable nostalgique des Opération Tupeutla et autres loufoqueries nées dans les esprits facétieux des Pierre Dac et consorts ? Vous aimez les histoires de savants fous à la Gustave Le Rouge ? Pas de doute possible, le roman de Jimmy Gladiator, Éléphants de la patrie est fait pour vous !
L’histoire, finalement assez simple malgré ses multiples rebondissements, peut se résumer en quelques mots. Bombyx, sorte d’Arsène Lupin maléfique, petit génie de l’informatique, maître es déguisement et meurtrier sans états d’âme, sème la panique dans Paris au moyen d’éléphants volés dans les cirques et les zoos environnants. Après quelques carnages d’échauffement, les pachydermes, sous la houlette de leur inquiétant mentor, se mettent en branle pour exécuter leur chef-d’œuvre final : s’inviter sur les Champs-Élysées, le 14 juillet, pour semer la zizanie dans le défilé et écraser, au passage, un maximum de militaires, de policiers et autres badauds au patriotisme exagéré... Mais, au-delà de l’histoire, plaisante et joyeusement surréaliste, le livre de Jimmy Gladiator est surtout attachant pour deux raisons. La première réside dans la belle évocation qu’il nous offre de Paris et de son réseau de souterrains, de caves et autres catacombes qui ne sont pas sans nous rappeler quelques belles pages des Mystères de Paris ou, plus prosaïquement, les Gaspards ce vieux film de Pierre Tchernia mettant en scène un Philippe Noiret jouant le rôle d’un nobliau anar et jouisseur, devenu maître des dessous de la capitale. La seconde raison est que, loin de n’être qu’un pur exercice de style futile et anecdotique, Éléphants de la patrie se révèle également être une belle analyse des mensonges sociaux et une rude condamnation des absurdités des réalités économiques, policières, politiques...
Militant anarchiste acharné, toujours sur le pont dès qu’il s’agit de défendre les droits de ceux que le système actuel tend à rejeter à la marge, Jimmy Gladiator sait de quoi il parle. C’est sans doute pour cela qu’il a su ne pas sombrer dans un manichéisme facile opposant un « gentil » justicier à la « vile » société. Son livre, mine de rien, sans y toucher, nous pose de vraies questions. Car Bombyx, son héros, est presque aussi sanguinaire que les policiers, les hommes d’affaires, les politiciens et autres représentants des institutions et des élites qu’il combat. Il y a du Bonnot dans Bombyx, du Mesrine aussi, et le roman de Jimmy Gladiator nous oblige à nous réinterroger la nature et les éventuelles différences qui existent entre les crimes commis par ces « bandits tragiques », ces « illégalistes » et les « crimes officiels » commis quotidiennement, parfois ouvertement, souvent sournoisement, par les patrons, les hommes politiques, les militaires, les religieux, et cela au nom de la morale, de l’ordre public et autres « joujoux patriotiques », comme aurait dit Gourmont... Pourquoi les premiers crimes sont-ils si violement condamnés alors que les seconds sont bien souvent ignorés, quand ils ne sont célébrés, comme c’est le cas tous les 14 juillet ? Peut-on combattre le « crime » autrement que par le « crime » ?
Autant de questions que nous posent finalement les Éléphants de la patrie dont la lecture ne peut qu’être salutaire en ces temps où la liberté de penser tend à se resserrer dramatiquement.
Stéphane Beau
La Presse Littéraire, juin 2008

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