L’ETAT DE GRACE

Max Alhau, Editions du Petit Pavé, 2009


Bon, on va commencer par un petit coup de gueule... Celles et ceux qui ont un peu l’habitude de parcourir mes recensions savent à quel point je tiens le livre pour être un « objet global », une unité cohérente où tout est lié : le fond, mais aussi la forme. Et là, franchement, monsieur l’éditeur qu’est-ce que c’est que cette couverture ? J’en ai rarement vu d’aussi désastreuse et aussi peu en phase avec le contenu qu’elle est sensée pré figurer Honnêtement, quand j’ai aperçu cet ouvrage pour la première fois, avec cette illustration représentant un étrange bonhomme lisant son journal à l’ombre d’un arbre, j’ai cru qu’il s’agissait de quelque récit nostalgique sur la vie campagnarde d’autrefois.

Et c’est d’autant plus dommage que les huit nouvelles qui composent L’État de grâce, le nouveau recueil de Max Alhau (qui est loin d’être un débutant dans ce genre difficile) sont de véritables petites perles, et qu’elles méritent grandement d’être lues et appréciées à leur juste valeur.

Max Alhau aime Borges et il ne s’en cache pas (le protagoniste principal de la nouvelle intitulée « À Paris » est d’ailleurs un professeur de littérature de Buenos-Aires, venu en France pour donner une série de conférences sur les grands auteurs argentins, parmi lesquels Borges, bien évidemment). On retrouve d’ailleurs, sous la plume de Max Alhau, bon nombre des thématiques qui constituent l’univers parti culier de l’auteur du Livre de sable : l’obsession paranoïaque du complot (« Une arrestation »), la rencontre avec son double (« Un portrait », « Métro »), l’amour des livres (« L’État de grâce »)...

Mais il serait parfaitement injuste de n’aborder le travail de Max Alhau que sous l’angle de l’influence borgésienne, tant il a son originalité propre. Il convient tout d’abord de souligner la qualité de son style : sans esbroufe ni afféterie, il mène ses récits de main de maître et entraîne à chaque fois, avec beaucoup de savoir-faire, le lecteur exactement là où il souhaite l’amener. Le procédé qu’il affectionne le plus et dont il use presque à chaque fois est certes classique, mais terriblement efficace : un infime glissement se produit dans le quotidien banal d’un individu tout aussi banal et, d’un seul coup, le fantastique fait irruption. Untel monte dans un métro qui emprunte une ligne qui n’existe pas ; tel autre découvre dans un musée son portrait peint par un artiste qu’il ne connaît pas ; un militaire part à la recherche d’un avion qui s est pose dans le désert et dont les passagers se sont mystérieusement volatilisés... Et à chaque fois, Max Alhau se garde bien de nous donner la clé du mystère : est-ce le héros qui a perdu la tête et qui s’englue tragiquement dans ses idées fixes (tel le personnage principal d’une arrestation, persuadé que son voisin du dessus a été arrêté par la police et envoyé dans un cachot d’où il ne ressortira plus, et dont on ne sait plus, au final, s’il nous décrit la réalité de la vie quotidienne sous un régime autoritaire ou s’il ne s’agit que des élucubrations d’un paranoiaque) ? Est-ce la réalité qui dérape soudain ? Le héros est-il confronté à un complot ou à un coup monté ? L’étrange professeur argentin en escale à Paris est-il vraiment celui qu’il prétend être ? Qui sont les puissants qui jouent avec la vie du protagoniste de « L’État de grâce » qui passe soudainement du statut de condamné à mort a celui de responsable des bibliothèques de l’Empire ? Autant d’énigmes, toutes aussi déroutantes les unes que les autres, au cœur desquelles nous nous plongeons avec délice.

Mais voilà qu’en terminant ce compte-rendu il me vient un doute : et si l’éditeur avait volontairement décidé de masquer les très belles nouvelles de Max Alhau derrière une couverture complètement inappropriée pour brouiller les pistes ? Mais pourquoi cela ? À moins qu’il ne s’agisse d’un complot contre l’auteur... ou est-ce moi qui commence à perdre la raison ? Au secours, ce livre est contagieux !

Stéphane Beau

Le Magazine des livres n°21, janvier 2010

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