MY LADY NICOTINE

James Matthew Barrie, Editions Attila, 2008


Je suis un fétichiste du livre, un maniaque de la forme, toujours prêt à trouver des excuses à un texte médiocre à partir du moment où il est bien imprimé, proprement enchâssé dans un volume somptueux ou dans une revue soignée ; toujours agacé, à l’inverse, comme il se doit, de tomber sur un grand texte maltraité par quelques goujats d’éditeurs qui ne savent pas faire la différence entre une œuvre majeure et un prospectus publicitaire – je tairai les noms
J’aime que les livres aient une âme, indépendamment de ce que peut être leur contenu j’aime les soupeser, les sentir, tâter le grain de leur couverture, tester la souplesse du papier.
Il y a même des jours où je me demande si je n’aime pas plus les livres que la lecture... Cette dernière question perd bien évidemment tout son sens lorsque le hasard me met entre les mains un livre qui allie à la fois la magnificence du fond et élégance de la forme.
Connaissant déjà un peu le travail des éditions Attila – notamment par le biais de leur superbe réédition d’Ascension de Ludwig Hohl – je ne nourrissais guère d’inquiétude quant à la qualité du traitement qu’elles allaient réserver à cette reprise de My Lady Nicotine, texte plutôt méconnu de James M. Barrie, qui est également le créateur du – pour le coup – très célèbre Peter Pan. Et il faut bien admettre que c’est du bel ouvrage : typographie soignée, lettrines sympathiques, mise en page originale, illustrations parfaitement adaptées signées Quentin Faucompré, tout est un régal pour les yeux.
C’est donc déjà aux trois quarts conquis que j’ai entamé ma lecture et que je me suis plongé dans les confidences du narrateur qui, fumeur repenti, nous dépeint, en une trentaine de tableaux, quelques uns de ses meilleurs souvenirs d’amoureux du tabac. Toutes les scénettes, qui s’enchaînent sans suite véritable, ont pour héros une poignée de célibataires endurcis, tous amateurs passionnés d’un même tabac : l’Arcadie, et sont pour l’auteur d’excellents prétextes pour se laisser emporter dans des délires d’un loufoque des plus british. Amours impossibles ou diantrement compliquées, histoires de revenants, de petits chanteurs de Noël gentiment trucidés, fin tragique d’un chrysanthème, mésaventures métaphysiques d’une blague à tabac ou destin improbable d’un morceau de papier abandonné aux vents, James M. Barrie nous balade au gré de ses humeurs, sans jamais se départir de sa raideur naturelle et de son impeccable sens... du non-sens !
My lady Nicotine se lit avec d’autant plus de plaisir que le contexte de chasse aux sorcières qui constitue aujourd’hui le quotidien des rares fumeurs qui ont encore le courage de le rester accroît encore sa dimension subversive. Ce qui n’aurait sans doute pas déplu à son auteur !
Un très beau livre donc, dans tous les sens du terme, qui ne pourra que faire le bonheur de tous ceux qui veulent encore croire qu’édition ne rime pas forcément avec produit de consommation et que les amateurs – là encore dans les deux sens du terme – de livres (ou de tabac !) ont encore de beaux jours devant eux.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres, n°13, décembre 2008

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