DE MAZAS A JERUSALEM OU LE GRAND TRIMARD

Zo d'Axa, Plein Chant, collection Type-type, 2007



Les vieilles gloires de la littérature anarchiste qui avaient réussi, à grand coup de plumes assassines et enflammées, à se faire un nom dans le monde des lettres – au tournant du 19e et du 20e siècle – connaîtraient elles une seconde jeunesse ? Après Libertad (éditions Agone) ou Han Ryner (éditions Premières Pierres), c’est maintenant au tour de Zo d’Axa (Plein chant) de retrouver une petite place sur les étals des libraires.

Les ronchons diront sans doute – peut-être avec raison – que cette renaissance n’est que relative et que les rééditions, ci-dessus rappelées, se contentent de tirages « confidentiels » ; mais réédition il y a, néanmoins, et possibilité de redécouvrir, sans avoir à farfouiller dans de poussiéreuses archives, des petits bijoux que le goût du consensus et du prêt à penser ont rejetés un peu trop vite dans les oubliettes de l’histoire littéraire.

D’où notre joie de voir ressurgir de l’ombre Zo d’Axa qui, rappelons le tout de même, est loin d’être le premier venu. Né en 1864, décédé en 1930 (de son vrai nom Alphonse Gallaud de la Pérouse), il compte parmi les plus virulents défenseurs de l’individualisme et reste une des figures majeures de l’anarchisme (même s’il émettait quelques réticences à se définir comme tel).

Fondateur de la célèbre revue L’Endehors, il rassemble autour de ce projet toute une génération d’écrivains, et non des moindres : Félix Fénéon, Tristan Bernard, Louise Michel, Octave Mirbeau, mais aussi Bernard Lazare, Victor Barrucand, Georges Darien, etc.

La ligne de conduite de L’Endehors était simple : « Nous nous battons pour la joie des batailles et sans rêve d'avenir meilleur. Que nous importent les lendemains qui seront dans des siècles ! Que nous importent les petits neveux ! C'est en dehors de toutes les lois, de toutes les règles, de toutes les théories – même anarchisres – c'est dès l'instant, dès tout de suite, que nous voulons nous laisser aller à nos pitiés, à nos emportements, à nos douceurs, à nos rages, à nos instincts – avec l'orgueil d'être nous-même. »

Ce sont ces mêmes ingrédients, ce même sens du combat, ce refus des compromissions et des vains idéaux, cette volonté d’être « soi » inconditionnellement, qui constituent le fond de De Mazas à Jérusalem, ouvrage paru initialement en 1895 et réédité aujourd’hui par les éditions Plein chant (collecion Type-Type).

Dans ce livre, au travers de la narration de ses démêlés avec la justice française, – démêlés qui l’obligent à prendre son bâton de pèlerin et à traverser de multiples pays : l’Angleterre, l’Italie, la Grèce, la Turquie, Israël… autant de pays dont il se fait expulser ou qu’il doit quitter plus ou moins précipitamment (parfois menottes aux poignets) – Zo d’Axa nous redessine le portrait d’une époque où l’expression libre d’opinions critiques constituait un acte de courage incontestable.

On oublie en effet sans doute un peu trop, aujourd’hui, alors que l’on peut quasiment écrire tout ce que l’on veut sur n’importe quoi – l’inverse étant également vrai – tout en continuant à jouir sereinement des bienfaits de notre bonne société de consommation, qu’il fut un temps où la moindre parole quelque peu contestataire, le moindre acte de foi légèrement déviant entraînait des sanctions qui n’avaient rien de symboliques. Pour un mot malencontreux on pouvait se retrouver derrière les barreaux de Mazas ou de Sainte Pélagie, et cela pour de longs mois. Pour une idée vaguement impertinente on pouvait se retrouver, du jour au lendemain, dépouillé de tout, molesté, humilié et jeté dans des cachots qui ont causé la mort (ne serait-ce qu’en raison du froid et de l’humidité) d’un certains nombres de leurs pensionnaires.

Il s’agit par conséquent de bien mesurer la valeur et l’importance du travail accompli par Zo d’Axa et par nombre de ses contemporains qui, à l’aube du 20ème  siècle, n’ont pas faibli, ont toujours su garder la tête haute et ont défendu les valeurs essentielles de l’humanité : le respect des individus, de leurs droits, de leur intégrité, et cela au péril même de leurs propres droits et de leur propre intégrité. Non seulement Zo d’axa n’a jamais baissé les bras, mais, tout au contraire, chaque coup porté contre lui a amplifié sa rage et son envie d’en découdre. Car, comme il l’écrit lui-même : « La révolte est d’instinct » (p.80), précisant un peu plus loin : « C’est qu’il ne s’élimine plus, le virus de haine et de révolte, une fois qu’on l’a dans le sang » (p.87)

Et je me demandais, en refermant De Mazas à Jérusalem, combien de nos plumitifs contemporains, toujours prompts à montrer les dents et à grogner à tout va, renvoyés à l’époque de Zo d’Axa, et susceptibles de subir les mêmes vexations que lui, ne cèderaient pas à la tentation de mettre un peu d’eau dans leur vin, et ne se convaincraient pas, soudain, que finalement, tout ne va pas si mal dans leur « meilleur des mondes »…

Stéphane Beau

Le Grognard n°4, décembre 2007

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire