LE VACILLEMENT DU MONDE

Alain Nadaud, Acte Sud, 2006



Depuis un peu plus de vingt ans – et à peu près autant de livres – Alain Nadaud s’applique à construire, discrètement, loin de tout tapage médiatique, une œuvre solide et cohérente pour laquelle j’éprouve une réelle tendresse. Le personnage n’a rien de sulfureux. Il ne parade pas à la une des magazines, ne joue pas les messies ni les donneurs de leçons. Ni poète maudit, ni icône post-moderne, il est, à l’instar des héros de ses romans, la simplicité même. Son dernier opus, Le Vacillement du monde nous conte les pérégrinations d’un certain Louis Legrand, jeune homme sans fortune qui, dans la première moitié du XVIII siècle, s’embarque pour le Canada avec son maître, le marquis Edmond de Versac, pour effectuer une série de relevés topographiques. Pour le plus grand malheur de notre héros le marquis a une fille. Elle est belle et peu farouche. Les deux jeunes tourtereaux cèdent bientôt à la tentation et découvrent ensemble les joies de l’amour… mais pour peu de temps car leur idylle est très vite découverte. Fuyant la vindicte du marquis, Louis Legrand abandonne sa belle.
Après quelques mésaventures judiciaires, il retourne en France, devient moine pour éviter la prison, et se retrouve pensionnaire d’un monastère, près de Dijon. Pour tromper son ennui et pour redonner un peu de sens à sa vie, il consacre le reste de ses jours à construire deux énormes globes – un terrestre et un céleste – dont un (le terrestre) se trouve toujours, nous précise Alain Nadaud, dans une des salles de la bibliothèque de Dijon.
Fidèle à son habitude, l’auteur nous délivre un récit où le vrai et le faux s’entremêlent si intimement qu’il nous est impossible de déterminer ce qui repose sur un fond de vérité historique et ce qui trouve son origine dans son imagination féconde. Au fond, d’ailleurs, peu importe, car comme Alain Nadaud nous l’explique lui-même dans une phrase qui peut servir d’exergue à la plupart de ses livres : « C’est […] le plaisir de l’envoûtement qu’on cherche, ainsi que celui de se perdre dans les méandres du conte, et non pas la vérité dont l’ironie de l’histoire a montré que, sur les sujets qu’on croyait les mieux assurés, elle a parfois tourné court » (p. l 18). Les amateurs de grandes fresques historiques à la Dumas ou, plus proche de nous, à la Da Vinci Code ne trouveront probablement pas leur bonheur dans ce Vacillement du monde car Nadaud ne se soucie guère du sensationnel et des rebondissements. Il ne nous en offre pas moins un bien joli conte, une agréable variation sur l’éternel thème de la fragilité humaine et sur la petitesse de l’homme comparé à l’infinitude de l’espace et de la connaissance. Et c’est en même temps un bel hommage à la création et à la puissance de l’esprit capable de se créer des mondes virtuels pour suppléer au monde réel lorsque ce dernier devient par trop invivable.
Stéphane Beau
La Presse Littéraire n°5, avril 2006

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