LA CONFRERIE DES MUTILES

Brian Evenson, Editions Le Cherche Midi, 2008



Imaginez un curieux croisement entre Franz Kafka et Quentin Tarantino... pas facile me dites-vous ? Certes. Alors lisez La Confrérie des mutilés de Brian Evenson et vous serez bien obligés d’admettre que oui, aussi improbable que cela paraisse, ce croisement est possible !
Plantons le décor en quelques mots. KIine, un flic mis en disponibilité après avoir été amputé d’une main suite à une enquête qui a mal tourné, en train de sombrer dans la dépression, est contacté par deux membres d’une curieuse confrérie de mutilés au sein de laquelle les galons se gagnent en augmentant volontairement le nombre de ses amputations. Très vite, Kline constate qu’il se trouve piégé dans un engrenage dont les tenants et les aboutissants sont particulièrement instables et que sa survie ne dépendra, au final, que de sa capacité à accepter de perdre de nouveau quelques morceaux de lui-même, et de prendre dès que possible les choses en mains (pardon : en main). S’ensuit alors un déferlement d’amputations, de coups de flingues, de carnages et de rebondissements tous plus spectaculaires les uns que les autres.
Tout ceci semble très « gore », et pourtant toute la force de Brian Evenson, reconnaissons-le, est d’arriver à faire en sorte que cet effroyable bain de sang et de violence qui sert de fil rouge – c’est le cas de le dire – à son histoire ne soit pas purement gratuit. Il parvient à nous prendre au jeu et, mine de rien, à nous faire glisser peu à peu en plein surréalisme, dans un monde très kafkaïen où la folie de la « réalité » sert avant tout de révélateur à la fragilité et de l’absurdité de la condition humaine.
Il ne s’agit pas de vouloir tirer du roman d’Evenson des dimensions philosophiques qu’il n’a pas forcément souhaité y mettre, mais plus l’histoire avance et plus il devient évident que la question de l’adéquation entre notre réalité « intérieure », solipsiste, telle que nous l’expérimentons tous, en tant qu’individu, et ce monde « extérieur » auquel nous sommes confrontés, est quelque peu problématique. Signalons au passage, et ce n’est peut-être pas complètement un hasard que la première lettre du nom du héros de La Confrérie des mutilés est un K... Comme un certain Joseph... Et comme le dit très bien un des personnages du roman : « Monsieur Kline, vous êtes assez philosophe pour savoir que tout n’est que reconstitution. La réalité ne se laisse pas facilement apprivoiser. »
Non, la réalité ne se laisse pas facilement apprivoiser. Celle dans laquelle Kline se débat, certes, mais aussi celle dans laquelle nous nous efforçons tous de trouver quotidiennement – beaucoup moins allégoriquement, mais beaucoup plus sereinement, heureusement – notre petite place.
Un très beau roman donc, beaucoup moins superficiel qu’il pourrait sembler l’être à première vue. Et une fois de plus, un impeccable choix de la part des responsables de cette collection particulière qu’est le « Lot 49 » qui continue à nous proposer des ouvrages que l’on peut quasiment acheter les yeux fermés.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°14, février 2009

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