UNE PURETE SANS NOM

Laurent Dingli, Flammarion, 2006


Rien à faire. Impossible de ne pas se laisser aller au jeu des comparaisons entre le roman de Laurent Dingli, Une Pureté sans nom et celui de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, paru quelques mois plus tôt. Je me doute que ce genre d’exercice doit agacer prodigieusement Dingli qui, au-delà même de toutes les considérations sur la qualité de son travail, se heurte forcément à cette cruelle réalité : il n’est arrivé qu’en deuxième position sur les étals des libraires. Certes, la tornade Littell, et ses dizaines de milliers de volumes vendus, a très certainement eu, par ricochet, des effets largement positifs sur les ventes d’Une Pureté sans nom, mais je suis prêt à parier que Dingli aurait tout autant aimé vendre quelques centaines d’exemplaires de moins et pouvoir se targuer d’avoir eu le mérite de l’originalité.

D’autant plus que certains points de ressemblance entre les deux romans sont troublants, même s’il est évident que la question du plagiat ne se pose pas.

Le prénom du héros, déjà : Max, dans les deux cas ; le principe de la confession écrite d’un allemand confronté au nazisme ; le niveau culturel des deux Max (docteur en droit pour celui de Littell et en médecine pour celui de Dingli ; leurs relations compliquées avec leurs mères respectives qui en font, d’une certaine manière, des handicapés du sentiment (handicap bien plus fortement marqué pour le protagoniste des Bienveillantes, je le concède volontiers) ; l’ambivalence sexuelle (même si elle n’est qu’effleurée chez Dingli), le départ en catastrophe de l’enfer de Stalingrad...

Pourtant, malgré toutes ces ressemblances, force est de constater que c’est un véritable fossé qui sépare les deux livres et pas seulement parce que les profils psychologiques des deux Max sont très éloignés ou parce que la période de référence choisie par les deux auteurs diffère notablement (1914-1950 pour Dingli et 1941-1945 pour Littell). Non, la différence est ailleurs.

Alors que Littell, avec une force inouïe, nous assène une fresque apocalyptique, parfois insoutenable, Dingli nous propose une histoire beaucoup plus classique, dans un style très littéraire, très académique. Le narrateur ne se départit jamais de son petit ton moralisateur, ponctué d’innombrables « vois-tu, mon fils ». Il nous dépeint un portrait de l’Allemagne non dénué d’intérêt d’un point de vue historique, mais qui manque hélas d’entrain, de fougue, d’allant.

La période qui s’étend de 1918 à 1933 a été une période de folie, une époque incroyable où tout était possible, où tout était pensable, le meilleur comme le pire. Les idées les plus modernes se mêlaient aux idéologies les plus rétrogrades ; on pouvait être impérialiste le matin, communiste l’après midi et se coucher membre du NSDAP. C’était un temps où l’espoir le plus fou côtoyait l’horreur la plus froide. Et sur tout cela, sur ce monde en ébullition, le héros du livre promène inlassablement, désespérément, son regard de petit bourgeois, aplatissant tout, ramenant tout au même niveau.

Jusqu’au chaos final, qui même s’il oblige enfin Dingli à se débarrasser en partie de son joli style fleuri, ne parvient pas à faire oublier la mollesse des 500 premières pages.

On a reproché à Littell son style (voire son « non-style »), sa froideur, ses descriptions interminables, sans concessions. Seulement, ce type de style colle au sujet : il est implacable, sans état d’âme, neutre. On ne parle pas de l’holocauste comme on raconte une histoire d’amour ou une petite comédie contemporaine. Le style de Dingli est trop léger pour le sujet qu’il a choisi, d’où la perpétuelle sensation de décalage qui nous étreint tout au long de la lecture. Car que retient on, au fond, de ce livre ? Que ce brave Max est un peu compliqué en amour (même si, finalement, tout fini bien avec sa gentille Zarah), que ses idées politiques ne sont pas trop bien arrêtées, qu’il a été choqué par les crimes nazis mais que bon, voilà, c’était comme ça, il fallait bien suivre le mouvement… Oui… Est-ce là la morale de l’histoire ? Qu’il suffit de reconnaître que l’on n’a pas été parfait mais que le monde environnant n’était pas facile non plus ? Pourquoi pas… Pour ma part, je considère que c’est un peu léger. Laurent Dingli estime que son livre permet de mieux cerner « la part de responsabilité et de libre arbitre de l’individu face aux errances collectives[1] »… Tout au plus permet-il, selon moi, de rappeler que les notions de « responsabilité » et de « libre arbitre » ne sont que de vagues idéaux dont on se pare de préférence lorsqu’il n’est pas trop risqué de le faire…

Ce livre plaira sans doute à tous ceux que Les Bienveillantes ont rebutés. Il a le mérite d’être beaucoup plus lisse. Les gentils sont gentils et reconnaissent gentiment leurs erreurs, les méchants sont méchants, l’amour triomphe toujours et le petit Karl, ce fameux fils auquel Max s’adresse tout au long de son livre, finit par aimer son père. Bref, tout finit pour le mieux dans le meilleur des mondes cruels…

Stéphane Beau

Le Grognard n°1, mars 2007


[1] In Le Magazine des livres, n°2 Février/Mars 2007.

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