L’HUMANITE SANS SEPULTURE

Louis Mandler, Editions Sulliver, 2008


Un cri. Un long cri de rage, de haine, de dégoût, de désespoir de douleur ; c’est ce que nous propose Louis Mandler avec son Humanité sans sépulture. Quatre-vingt-douze pages durant, c’est un déferlement de fiel, un feu d’artifice de foutre et de merde, un jaillissement toujours renouvelé de purulences et de suintements, une avalanche de sang et de larme. Les mots se bousculent, s’emballent, s’empalent : plus ils sont tordus, plus ils raclent la gorge et blessent les lèvres, plus ils sont les bienvenus sous la plume de Mandler.
Comme toujours lorsqu’on navigue dans les confins troublants de la littérature, on est tenté de rechercher quelques attaches à ce curieux ovni, quelques ancêtres à cet étrange auteur. Pas sûr pourtant que le bougre – qui ne porte pas les « critiques » dans son cœur – ne jauge l’exercice d’un bon œil. Risquons-nous-y, pourtant
C’est ainsi que, par exemple, certains passages nous font songer à Laforgue, à son style exclamatif et à son goût des néologismes : « Art ! pub ! libérallalisme, totallaritarisme ! la grande adéquation ! Plénier. Orgasme ! » On ne peut pas ne pas penser non plus à Lautréamont et à ses Chants de Maldoror, ou à quelques illustres râleurs des temps passés, tels Emile Pouget ou Alfred Jarry. Ou enfin, plus proche de nous, à cette magnifique auteure, Anne-Lou Steininger, qui nous avait subjugués, il y a quelques années de cela, avec sa Maladie d’être mouche.
Sur cette question spécifique de la filiation, Louis Mandler nous donne en fait lui-même quelques indices. Au fil des pages, quelques noms émergent celui de René Riesel par exemple celui de Tristan Tzara. Celui de Léon Bloy aussi l’éternel colérique, l’entrepreneur en démolition, brandisseur de pals, dont une longue citation ouvre l’Humanité sans sépulture.
Le livre de Mandler recèle bien quelques faiblesses : difficile de tenir le rythme endiablé du verbe sur toute la longueur du livre, de maintenir l’invective en tension perpétuelle, la hargne intacte. Mais les quelques rares passages un peu moins convaincants passent, presque inaperçus tant la sincérité de l’auteur est attachante. Sa souffrance face à l’absurdité du monde, face à l’injustice, face à la cruauté, face à la bassesse des puissants et la bêtise de ceux qui rampent à leurs pieds, est telle qu’on se laisse emporter par le flot de ses mots, par la pertinence de ses phrases dont certaines s’échappent du texte, comme des bulles de savon : « La Freebox est l’image suprême de votre monde : la liberté en boite !... » ; « Petits drôles ! Votre sensibilité n’est qu’un programme enregistré très tôt et qui s’exécute automatiquement lorsqu’il rencontre un mot-clef... Misérable état d’insensibles automatisés... » ; « Où vivent les simples et les candides ?... Je veux vivre avec les hommes et les femmes qui sourient encore comme des enfants... » ; et cette dernière qui résume tout, peut-être : « Si la misère ça suffit pas pour soulever le peuple, les exactions des tyrans, les grandes catastrophes militaires, alors quoi ? Rien que le pognon ?... »
Au final, Mandler nous offre là un très beau livre, un SOS, un appel de détresse d’autant plus poignant, d’autant plus tragique qu’on sait déjà que la minorité de ceux qui seront en mesure de l’entendre et de le comprendre ne compteront jamais parmi ceux qui pourront avoir, un jour, une quelconque emprise sur la marche du monde.
Peu importe, le cri est poussé: malheur à ceux qui ne l’entendront pas !
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°11, juillet 2008

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