LE TEMPS D’UNE CERISE, D’UNE SAISON DE MIMOSA

Pascal Pratz, Editions du Petit Pavé, 2008



En 2001, Juliette, quatre ans et demi, perdait son combat contre le cancer – peut-être devrais-je plutôt dire que c’est le cancer qui gagnait alors son combat contre la fureur de vivre déployée jusqu’au bout par la fillette. Ce sont ces longs mois de lutte pour la vie, de lutte contre la mort, ces alternances d’espoirs et de désespoirs que Pascal Pratz, son père, nous retrace dans Le Temps d’une cerise, d’une saison de mimosa.

J’avoue très honnêtement que ce livre m’a bouleversé comme jamais un livre ne m’avait bouleversé jusqu’à ce jour. Et pourtant, des livres, j’en ai lus un grand nombre. Cela apparaîtra peut-être ridicule aux yeux de certains : marque de sensiblerie excessive... C’est possible : mon plus jeune fils a exactement l’âge qu’avait Juliette au moment de son décès. Difficile d’éviter les interférences avec mes propres angoisses. Mais je ne pense pas que ce réflexe d’identification explique pleinement l’ampleur de mon trouble. D’autant que la mort m’est assez familière – j’ai même officié comme croquemort, quelques mois durant, il y a quelques années de cela. Idem pour les souffrances humaines, qui constituent le lot quotidien de mon activité professionnelle, et dont je pense pouvoir dire sans flagornerie que j’ai quasiment dû en faire le tour.

En réalité, si le livre de Pascal Pratz m’a à ce point déstabilisé, c’est aussi, je crois, par la qualité de son écriture. Comment peut-on écrire un aussi beau livre sur un si effroyable sujet ? Comment peut-on parvenir à trouver d’aussi justes mots pour décrire l’innommable. Pascal Pratz n’est jamais border line. Jamais, tout au long de son récit, son discours ne dérape. Jamais il n’est larmoyant, excessif ou vulgaire. Jamais inutilement « littéraire » non plus – il n’y a rien de plus détestable, sur un thème comme celui là, que ces auteurs qui paraissent n’écrire que pour mieux s’éblouir du spectacle de leur propre souffrance. Non, il nous parle doucement, d’une voix apaisée que l’on a presque l’impression d’entendre, comme s’il nous murmurait sa tristesse à l’oreille. Les pages défilent et nous ne parvenons même plus à savoir si nous pleurons sur les malheurs de la petite Juliette ou si, au contraire, nous sommes submergés par le flot d’amour dont elle a été l’objet jusqu’à son ultime seconde de vie.
Il ne s’agit pas ici de proposer une réelle « étude critique » du livre de Pascal Pratz. Le sujet est trop dramatique pour que l’on s’égare sur de telles voies (quand je pense que des imbéciles, sur un site de vente par correspondances, se sont offusqués de « l’égocentrisme » de l’auteur ! Il faut être un con fini pour se soucier sur un tel sujet, de l’égocentrisme éventuel de celui qui a tenu dans ses bras un enfant de quatre ans qui rendait son dernier soupir !) Egocentrique Pascal Pratz ? Peut-être. Je m’en fous. Si son égocentrisme l’a aidé à ne pas sombrer, alors je crie : « vive l’égocentrisme » ! Là n’est pas la question. Non, pour moi, la question, tout du moins celle qui a continué à frapper de façon récurrente aux portes de ma conscience les jours qui ont suivi ma lecture du livre de Pascal Pratz a été à la fois beaucoup plus fondamentale... et beaucoup plus dérisoire. Je m’interrogeais sur la raison d’être de la littérature, sur l’utilité de ces milliers de livres qui viennent tous les ans s’empiler sur les étals des libraires. Combien de ces livres ont-ils été écrits avec le sang, avec les larmes, avec les souffrances les plus intimes de leurs auteurs ? Combien de ces livres ont-ils une véritable raison d’être, ou, pour poser le problème en des termes différents, combien d’entre eux nous touchent-ils réellement, au plus profond de nous même ? Et quand je dis « nous touchent », je ne parle pas de ces petits frissons émotionnels ou intellectuels que nous ressentons régulièrement au gré de nos lectures. Je ne parle pas de ces livres au sortir desquels nous restons quelque temps le nez en l’air, vaguement songeurs, avant de sombrer à nouveau dans notre vie quotidienne. Non, je parle de ces livres dont la lecture nous fait mal, atrocement mal pas symboliquement, mais physiquement, dans notre chair ; de ces livres dont on sait qu’ils nous laisseront d’inguérissables séquelles, dont on se demande, à chaque fin de page, si on aura la force d’attaquer la suivante sans que notre corps ne se brise de douleur.
Personnellement, je n’avais encore jamais lu un tel livre. Je ne pensais même pas qu’il puisse en exister. Le Temps d’une cerise, d’une saison de mimosa m’a fait changer d’avis.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°12, octobre 2008

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