ET QUE MORTS S’ENSUIVENT…

Marc Villemain, Le Seuil, 2009


Marc Villemain a fait paraître au Seuil, il y a quelques jours, son troisième livre : un recueil de nouvelles intitulé Et que morts s’ensuivent.
Bien curieux livre, ma foi ! Tenu en main, comme ça, il ne paye pas de mine : peu épais, renfermant tout au plus une dizaine de textes on se dit qu’il sera vite dévoré et qu’il laissera certainement un goût de trop peu à l'amateur de pavés que je suis… Et pourtant, une fois achevé, on a bel et bien la curieuse impression d’avoir lu un volume de plusieurs centaines de pages, de s’être noyé des jours durant dans des univers parallèles, tous plus envoûtants les uns que les autres, et d’être revenu miraculeusement vivant de moults troublants voyages dans des confins où ne règnent plus que la mort et la folie ! Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences : sentence qui pourrait d’ailleurs servir de sous titre au recueil lui-même tant chaque nouvelle nous rappelle magistralement qu’il suffit juste, parfois, de gratter un petit peu la surface des choses, de décaler d’un rien l’ordre du réel, pour que tout bascule et pour que s’ouvrent en grand les portes du néant.
Ce décalage entre la minceur objective du recueil et cette impression de profusion que l’on ressent à sa lecture s’explique sans doute par la qualité du style de Marc Villemain. Son style est riche, précis, précieux peut-être parfois, mais en tout cas compact, copieux, généreux et toujours maîtrisé ; c’est un style qui agacera forcément les amateurs de cette langue semi parlée dont certains n’ont de cesse de chanter les louanges de nos jours, mais qui enchantera les nostalgiques des Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam, et autres illustres ciseleurs de phrases.
Cette impression de décalage s’explique aussi, probablement, par le sentiment de trouble et de malaise indéfinissable qui nous envahit à la fin de chaque nouvelle, et qui nous oblige à reposer le livre quelques temps avant d’attaquer la suivante. Car, avec son petit air de ne pas y toucher, et tout en saupoudrant sa prose de notes humoristiques ou burlesques, Marc Villemain nous entraîne dans des zones sombres où nous n’avançons normalement qu’en traînant les pieds. La « folie ordinaire » qui habite ses « contes » nous renvoie à maintes reprises à nos propres folies, à nos propres peurs, à nos propres failles, fractures, ruptures… Ne pourrions nous pas déraper, nous aussi, comme cette femme qui, brusquement crève les yeux de son amie d’enfance ? N’avons-nous pas eu envie, nous aussi, certains soirs, de refermer définitivement sur nous le drap de notre lit ? N’avons-nous jamais rêvé de refaire à l’envers le chemin de notre vie et de retourner vers l’enfance ? (Ah ! cette scène où une petite fille vient s’endormir, en toute innocence, auprès de son père dont le corps refroidit déjà me hantera sans doute longtemps !)
Bref, un très bon volume, à recommander chaudement.
Stéphane Beau
Blog du Grognard, février 2009

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