JUIFS ET ANARCHISTES

Collectif, Editions de l’Eclat, sous la direction de Amedeo Bertolo, 2008

Judaïsme… Anarchisme... deux termes que l’on n’a peut-être pas le réflexe d’accoler, habituellement, Deux termes complexes, polysémiques, déjà très difficiles à définir respectivement. Que signifie « être juif » ? Que signifie « être anarchiste » ? Pas simple : alors juif et anarchiste !...
Il y a mille façons d’être juif, mille façons d’être anarchiste. Le fait qu’« accidentellement », comme le souligne Éric Jacobson, on puisse être à la fois l’un et l’autre, n’a en soi rien de fondamentalement surprenant. Tout comme il n’y a rien d’étonnant à trouver, à la marge, des anarchismes teintés de bouddhisme, de christianisme, des anarchismes de droite, de gauche, violents, pacifistes, individualistes, collectivistes, etc.
Alors quid d’une éventuelle relation plus intime, plus essentielle entre l’anarchisme et le judaïsme ? C’est à l’étude de cette question que se sont attelés avec beaucoup d’intelligence et de sérieux la quinzaine d’auteurs qui ont apporté leur contribution à un très intéressant ouvrage publié par les éditions de l’Eclat : Juifs et Anarchistes.
Disons le sans détours : les conclusions de leurs cogitations sont, on pouvait s’en douter, en demi-teinte, tant il apparaît au final qu’il est difficile de trouver un lien réel et naturel entre le judaïsme et l’anarchisme. Certes, on peut nommer un certain nombre de penseurs et d’auteurs, anarchistes ou « assimilés » qui n’ont jamais cessé de revendiquer dans le même temps leur judaïté, et qui ont su trouver, entre ces deux pôles de leur identité, un équilibre assez cohérent. C’est d’ailleurs une des grandes qualités de Juifs et Anarchistes que de nous dresser – ou redresser – une très belle galerie de portraits de certaines de ces personnalités originales : Stirner, Lazare, Rocker, Buber Landauer ou même Kafka dont les liens avec les anarchistes de son temps donnent lieu, à mon sens, à un des meilleurs articles du volume (Mickaêl Lôwy, « Le Cas Franz Kafka »).
L’étude de toutes ces grandes figures confirme cette évidence que le judaïsme, tout comme l’anarchisme, n’étant pas exempt d’un certain idéal – social, communautaire, d’un utopisme à toute épreuve, d’une croyance forte, messianique, dans le fait que le meilleur des mondes reste à venir, reste à construire –, des congruences entre les deux logiques ne sont pas dures à trouver. Mais ce qui ressort surtout, même si c’est en creux, c’est que la balance entre anarchisme et judaïsme n’est jamais facile à réaliser, même chez ceux qui se reconnaissent les deux étiquettes et que, bien souvent, plus ils ont été amenés à revendiquer leur attachement au judaïsme, plus ils ont dû prendre de distance avec l’anarchisme ; et inversement.
Il convient toutefois d’applaudir des deux mains la publication de Juifs et Anarchistes car, même si l’ensemble de son contenu (et contrairement peut-être à ce que laisserait entendre le titre) tend à prouver qu il est en effet difficile d’être à la fois et pleinement juif et anarchiste, l’impression qui demeure une fois sa lecture terminée est parfaitement positive. Car cet ouvrage recèle une très grande force : nous présenter la « question juive » autrement qu’à partir de ce qui sert généralement de support à cette « question » : la Shoah ou le conflit israélo-palestinien. Ici, la question du judaïsme est abordée dans ce qu’elle a de plus positif, de plus progressiste, de plus révolutionnaire. À ce titre, les articles de Yaacov Oved sur les kibboutzim ou de Birgit Seemann sur « l’anarcha féminisme dans le judaïsme » nous apportent de très belles preuves, si tant est que nous en ayons besoin, que le débat sur le judaïsme peut avec profit se poser autrement qu’en termes de « victimes » ou de « coupables ».
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°12, octobre 2008

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