CONQUETE DU DESASTRE
FP Meny, éditions Sulliver, 2008.

Difficile de parler objectivement des écrits de Frédéric Pontonnier Meny, plus connu sous le diminutif de FP Meny, et ceci pour deux raisons. La première découle de son statut « d’écrivain vagabond » – comme il se définit lui-même –, qui fait qu’il est mal aisé de dire du mal d’un type qui a choisi et revendiqué la voie de la marginalité (et dont l’écriture est entièrement frappée au sceau de ce choix) sans passer pour un de ces cons qui n’ont que leur profond dédain à offrir aux SDF et autres exclus du système. La seconde raison est que FP Meny nous a quitté le 13 juin dernier, mort comme il avait vécu, dans une grange où il s’abritait de la pluie. Là encore, pas facile de taper sur un mort : plus simple dans ce contexte de crier au génie incompris que de se livrer à une véritable critique… Je vais néanmoins tenter de parler le plus sincèrement possible de cette Conquête du désastre que les sympathiques éditions Sulliver vient récemment de publier.
Posons le cadre d’emblée : si ce n’est pas parce qu’on est un SDF qu’on est forcément un imbécile, ce n’est pas non plus parce qu’on est un « vagabond » qu’on est forcément un génie. Le livre de Meny est à l’image de sa vie : chaotique, excessif, complexe. Le sublime et le superflu se côtoient souvent. Plus d’une fois, j’ai dû lutter contre l’envie de fermer le livre et d’en abandonner la lecture ; et à chaque fois le désir de poursuivre a été le plus fort. Pourquoi ? Parce que malgré ses imperfections, ses passages discutables, la Conquête du désastre est un livre qui nous attache, qui nous accroche, qui nous prend aux tripes par la profonde humanité dont il témoigne, par la touchante sincérité de son concepteur.
Et puis, comment ne pas tomber sous le charme d’un auteur qui, même s’il se perd parfois dans des délires poétiques discutables, est capable de nous lancer à la tête des phrases aussi sublimes que ce qui suit : « Pouvoir partir et ne plus avoir affaire à tout ça, matois, je disparaîtrai derrière les trois petits points de l’et cetera » (p.10) ; « Les poètes nous permettent de chevaucher l’orage, écoute le chant des enclumes » (p.36) ; « Pour moi, c’est quand même plus normal que des pauvres attaquent des riches que le contraire » (p.48) ; « Ils sont cons mais ils ont un grand passé – Ça donne envie » (p.83) ; « Le trait d’esprit est le retrait où l’on se dissimule le vertige, sous-entendu dans un laboratoire clandestin » (p.107) ; « La société a besoin de gens qui pleurent à l’enterrement de leur mère » (p.158). D’accord, il faut fouiller, se coltiner des paragraphes entiers qui tombent parfois à plat, mais lorsque l’on trébuche sur la pépite, alors là, c’est l’extase, et rien que pour cela, on ne peut que féliciter les éditions Sulliver pour avoir eu le courage de publier un tel ouvrage.
Non seulement le courage, mais aussi l’intelligence car le livre de FP Meny recèle une valeur symbolique qui dépasse de loin, à mon sens, tous les débats sur la qualité de son talent. Car, par la pureté de son cri, par la force de sa dénonciation des absurdités sociales, Meny est une sorte de résistant : un résistant contre l’abrutissement généralisé, contre l’avachissement béat des masses, contre l’anéantissement dans les sables mouvants de la standardisation et de la mondialisation. La Conquête du désastre fait brillamment écho, à ce niveau, à ce qu’écrivait déjà Edward Carpenter, en 1894, dans un article intitulé : « Plaidoyer pour les criminels » (dans La société Nouvelle) : « Littéralement, le criminel est accusé et, dans le sens moderne du mot, convaincu de faire tort à la Société. Mais est-il réellement nuisible à la Société, ce prévenu de triste mine, aux vêtements sordides, ce malingre qu’on amène à la barre entre deux gendarmes ? L’est-il davantage que le magistrat en perruque qui prononce sur son sort ? C’est la question. Il a enfreint la loi, c’est vrai, et la loi est, en un sens, l’expression consolidée de l’opinion publique. Mais si personne n’enfreignait la loi, l’opinion publique s’ankyloserait, la société périrait. »
Autrement dit, tant qu’il restera des FP Meny sur cette terre, nous pourrons encore espérer en un monde meilleur. Et c’est la raison pour laquelle son décès est un rude coup porté à cet espoir. Restent ses écrits qui, malgré leurs imperfections, demeurent, tels des bouées auxquelles nous pouvons continuer à nous accrocher.
Stéphane Beau
Le Grognard n°7, septembre 2008

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