ILES SANS OCEAN
Patrick Corneau, Éditions Orizons, 2010

Qu’est-ce que tu lis ?
Îles sans océan, de Patrick Corneau.
– Ça parle de quoi ?
– Difficile à dire comme ça… Ce sont des fragments, des pensées, des citations, des impressions que l’auteur a souhaité réunir dans un livre…
– Ah ouais… C’est spécial… Et c’est quoi l’intérêt ?
L’intérêt ? Mais c’est que c’est de la littérature, de la profonde, de l’érudite, de la sincère, exactement comme je l’aime !
Et pourtant le pari était risqué car s’il y a bien un domaine littéraire particulièrement casse-gueule, c’est bien celui dans lequel, sous la forme du journal, du récit ou des notes éparses, on ne parle que de soi, où on laisse se dessiner peu à peu, page après page, les grandes lignes de son autoportrait. Casse-gueule, oui, car les risques sont grands, dans ce genre d’exercice, d’en rajouter dans le pathos, le sur-joué, de se regarder écrire, de prendre des poses, des postures : grand incompris, génie méconnu, visionnaire auto-satisfait, contempteur désabusé…
Autant de chausse-trapes au fond desquelles Patrick Corneau parvient, avec beaucoup d’élégance, à ne pas tomber. Bien au contraire, même : il nous propose là un livre parfaitement mesuré, calibré, ajusté, qui n’aurait pas à rougir plus que cela d’être comparé aux modèles du genre.
La tonalité générale n’est pas des plus joyeuses, comme on s’en doute. Le monde actuel avec ses aberrations, ses modes, son rythme endiablé en prend pour son grade, mais jamais l’auteur ne sombre dans la rumination. Il a en effet su trouver cet équilibre précaire qui, entre le retrait total du monde et l’avachissement dans le réel, permet seul d’apprécier la vie avec un recul adéquat. Certains passages sont même très clairement teintés d’humour : quand il préconise par exemple la création d’une Goy Pride à Jérusalem !
Patrick Corneau, grand amateur de Jean Grenier et amoureux du Brésil signe là un livre réellement abouti qui enchantera tous les rêveurs et autres « inactuels », décalés, « en dehors » qui sont intimement persuadés que le meilleur moyen de voyager loin et bien consiste encore à fermer les yeux et à faire gentiment un petit bout de chemin avec soi-même !
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Stéphane Beau
Le Grognard n°15, septembre 2010

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