ARRETER D’ECRIRE
David Markson, Éditions Le Cherche Midi, 2007



« Thoreau : combien d’hommes ont daté une nouvelle période de leur vie d’après la lecture d’un livre ? »(p.142). L’écho de cette phrase, piochée parmi les centaines de fragments qui composent le livre de David Markson, résonne encore en moi une fois le volume refermé. Oui, sans doute, Arrêter d’écrire fera « date », chez moi, je pense, car sa lecture m’a cueilli dans une période de violent dégoût de tout, dans une période, longue de plusieurs mois, ou je me suis retrouvé incapable de lire quoi que ce soit, d’écrire la moindre ligne ou d’aligner deux pensées cohérentes. Dans ce contexte, le texte de Markson, dont j’avais déjà fort apprécié La Maîtresse de Wittgenstein (P.O.L.), m’a touché de plein fouet. Le titre déjà : Arrêter d’écrire ! Mettre un terme à cette vaste mascarade qu’est la littérature, ranger son crayon, remiser ses feuilles, recommencer à vivre, empiler tous ses livres dans un coin du grenier et ne plus perdre son temps à des choses aussi vaines ! N’est-ce pas cela la véritable santé psychologique ? La seule logique intellectuelle rationnelle ? Nous n’avons que quelques dizaines d’années à perdre sur cette terre et, pour certains d’entre nous, nous les passons le nez plongé dans des feuilles de papier noircies de milliers de petits signes noirs... On en a interné pour moins que ça !

Le livre de Markson pourtant, à première vue, a tout du livre gadget, de l’exercice de style, avec son accumulation de citations, de notes sur les causes de décès des écrivains et autres artistes célèbres, avec ses anecdotes. Très vite, toutefois, on s’aperçoit que le volume que l’on tient dans ses mains va bien au-delà d’une vague démonstration d’érudition, et que Markson réussit ce coup de génie d’écrire un livre qui décrit, mieux que n’importe quelle étude psychologique, l’impossibilité d’écrire et qui constitue, comme il le dit lui-même, « une étude approfondie sur les maladies de la vie artistique » (p.89).

Car toute l’ambivalence de la création est là : on a beau savoir que cela ne sert à rien, que tout est vain, que nous sommes mortels et que, comme nous le rappelle Markson, même les plus grands auteurs finissent par mourir le besoin de créer, de produire, ou plus simplement de s’emplir du spectacle de la création – en tant que lecteur, auditeur, etc. – finit toujours par nous rattraper par les cheveux et à nous remettre le nez dans nos livres, nos disques, nos tableaux... L’art est une drogue, comme l’alcool On a beau s’en gaver jusqu’à la nausée, dès que les dernières vapeurs du dégoût s’estompent, on y replonge.

Arrêter d’écrire donc ? Arrêter de souffrir ? Arrêter de jouir, aussi de cette distance d’avec le monde que l’art nous offre ? Arrêter de faire semblant de vivre et retourner dans la vraie vie ? Autant de questions essentielles – existentielles – qu’avec beaucoup de légèreté et d’intelligence Markson laisse éclore dans le cerveau de ses lecteurs. Autant de questions dont l’écho continue à résonner en nous une fois le livre refermé.

Stéphane Beau
La Presse Littéraire, n°14, mars 2008

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire