LE POUCE CROCHU
Fortuné du Boisgobey, éditions Encrage/Les Belles Lettres, 2006



Fortuné du Boisgobey (1821-1891) n’est pas le plus illustre des précurseurs français de la littérature policière. Après une brève carrière administrative, une vie parisienne dissolue et un exil en Orient, il devient, à l’aube de la cinquantaine, un feuilletoniste très célèbre en son temps. Auteur d’une soixantaine de livres – histoires de capes et d’épées à la Alexandre Dumas et romans judiciaires à succès –, il n’est hélas plus aussi connu que certains de ses confrères: les Ponson du terrail, Paul Féval, Emile Gaboriau, Eugène Sue ou, un peu plus tard, Maurice Leblanc et Gaston Leroux, écrivains avec lesquels il possède une parenté incontestable. Autant d’auteurs qui, tout comme lui d’ailleurs, ont été rejetés plus ou moins sévèrement à la marge de la littérature pour avoir commis l’impardonnable crime de s’être illustrés dans le domaine du roman populaire.
Depuis quelques années, les éditions Encrage nous permettent de redécouvrir les œuvres oubliées de ce sympathique romancier. Après Décapitée (2004) et Le Crime de l’Omnibus (2005), c’est Le Pouce crochu qui retrouve aujourd’hui, pour notre plus grand plaisir, le chemin des librairies.
L’histoire ? Comme souvent dans les livres de Fortuné du Boisgobey, elle démarre sur les chapeaux de roue. Une jeune fille, Camille, assiste chez elle au crapuleux assassinat de son père, un inventeur qui vient de faire une importante trouvaille. Le seul indice à sa disposition : le pouce de l’assassin, entraperçu dans la mêlée, un pouce inhumain et curieusement… crochu. Secondée par Julien Gémozac, un jeune homme de bonne famille qui ne reste pas insensible à ses charmes et par le jeune Georget, un gentil titi parisien, elle part à la chasse de l’infâme Zig-Zag, saltimbanque, escroc et gigolo sans scrupules, qui lui donnera bien du fil à retordre.
Le style, comme nous l’avons signalé, n’est pas sans rappeler celui des romans de Leblanc ou de Leroux. Le rythme est soutenu et les rebondissements nombreux. Les héros sont propres sur eux et leurs sentiments sont nobles ; les jeunes filles sont vertueuses et bien élevées ; les méchants, dénués de moralité, perdent toujours à la fin. C’est manichéen, prévisible, mais sacrément agréable ! Et il y a le décor, la toile de fond : le vieux Paris de la seconde moitié du 19e siècle, avec ses fiacres, ses sergents de ville – les sergots, dans la langue des voyous, – ses terrains vagues qui, au-delà de la porte de Clichy, n’attirent plus que truands, artistes en goguettes et grisettes peu farouches, ses « caboulots » miteux et mal famés aux enseignes pittoresques : Le Grand Bock, Le Tombeau du lapin, où l’on boit de l’absinthe dans une atmosphère enfumée et bruyante.
Ceux qui ne goûtent pas les romans de tous les auteurs cités plus haut n’apprécieront pas, de toute évidence, ceux de Fortuné du Boisgobey. Par contre, avis à tous ceux qui ne résistent pas, de temps à autre, au charme désuet d’un bon Arsène Lupin, d’un Rouletabille ou d’un Rocambole : vous pouvez-y aller les yeux fermés !
Et pour ceux qui prendraient goût aux œuvres de Fortuné de Boisgobey, signalons que les éditions Encrage proposent également, en format numérique cette fois, trois autres romans de cet auteur : Une Affaire mystérieuse, Le Collier d’acier et L’Homme sans nom.
Stéphane Beau
La Presse Littéraire n°6, mai 2006

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