TRAITE D’ATHÉOLOGIE
Michel Onfray, Grasset, 2005

Avec son Traité d’Athéologie, Michel Onfray a lancé dans la mare de la question religieuse un pavé qui continue encore aujourd’hui à faire des vagues. Deux camps se sont rapidement constitués : les onfraysiens d’une part et les anti-onfraysiens de l’autre. La publicité pour le livre du philosophe normand y a sans doute beaucoup gagné mais le débat sur son concept d’athéologie y a beaucoup perdu.
Comment permettre à la réflexion d’évoluer sans tomber dans le schéma d’oppositions perverses qui s’est petit à petit installé dans le débat. A lire ce qui paraît dans les livres pro ou anti onfraysiens, dans les articles de la presse ou sur le net, il semblerait bien qu’il n’y ait pour le quidam moyen que deux options possibles : soit on est du côté de Michel Onfray et des athées convaincus que les religions sont les sources de tous les maux, soit on est soi-même croyant et on s’acharne à démontrer que la vision du fait religieux tel qu’il est présenté dans le Traité d’Athéologie est, au mieux fantaisiste, au pire blasphématoire, diffamatoire voire révisionniste et dangereux.
Nous avons envie, dans cet article, de sortir de cette dichotomie désespérément manichéenne pour proposer une réflexion qui, nous l’espérons, portera moins sur Michel Onfray lui-même que sur les apports réels de son ouvrage.
Commençons par une rapide mise au point : l’auteur de ces lignes n’est pas croyant. Il n’a pour ainsi dire jamais mis les pieds dans une église (si ce n’est, hélas, pour quelques enterrements) ni dans aucun autre lieu de culte et peut, sans aucune gêne, se définir comme étant parfaitement athée. Pourtant, la lecture du Traité d’Athéologie nous a laissé extrêmement perplexe.
Nous ne souhaitons pas reprendre ici le détail des débats qui ont vu le jour, visant à décortiquer minutieusement les arguments exposés par Michel Onfray pour justifier son rejet des monothéismes. La preuve de l’existence de Jésus, les délibérations autour du sens qu’il faut donner à telle ou telle citation biblique ou évangélique etc., tout cela a déjà été fait avec plus ou moins d’objectivité dans des ouvrages tels que ceux d’Irène Fernandez (Dieu avec esprit) ou de Mathieu Baumier (Anti-traité d’athéologie). Le résultat est d’ailleurs généralement décevant. Les deux camps restent recroquevillés sur eux-mêmes : ceux qui croient que Jésus a réellement existé et que c’était un brave garçon continuent à le penser, et ceux qui sont persuadés que c’est un mythe dangereux restent attachés à leurs convictions. Ce qui nous a gêné dans le livre de Michel Onfray, ce n’est pas tant la nature de ses arguments qui, même si certains peuvent être discutés, sont généralement assez justes, que la logique de sa démarche.
Michel Onfray est philosophe. Il le rappelle régulièrement et le revendique haut et fort. Son Traité d’Athéologie, selon lui, n’est pas un pamphlet mais un livre de philosophie, c’est-à-dire un livre habité par la Raison et non pas porté par un point de vue simplement partisan. Pourtant, force est d’admettre, que l’on soit ou non d’accord avec les propos tenus, que le Traité d’Athéologie pêche gravement par son manque de sérieux scientifique. Non pas, encore une fois, que les arguments exposés soient forcément erronés, mais parce que Michel Onfray a délibérément pris le parti de ne regarder que par un bout de la lorgnette. Qu’il ait lui-même des comptes à régler avec la religion, cela peut s’entendre. Son passé d’interne chez les religieux a sans doute laissé des traces douloureuses au plus profond de lui. Sans doute traîne-t-il, depuis son enfance, un profond besoin de « bouffer du curé ». Et ce besoin n’est pas condamnable en soi : il a sans doute ses raisons d’être. Seulement, de là à faire de cette haine de la soutane un principe philosophique il y a une marge qu’il est dangereux de dépasser.
Tout le Traité d’Athéologie est construit dans le seul but de démontrer que les religions (et plus précisément les monothéismes) sont dangereuses, porteuses de mort, de haines, avides de sangs et de sacrifices. Pourquoi pas. L’hypothèse peut être posée, doit même être posée. Seulement, le principe même d’une hypothèse suppose que l’on en vérifie la validité en examinant toutes les données du problème : les arguments qui vont dans le sens de l’hypothèse comme ceux qui n’y vont pas. C’est en vain que, dans le livre de Michel Onfray, on cherche les arguments susceptibles de nuancer ses propos, voire de contredire certaines de ses positions. La logique de construction du Traité d’Athéologie est tout sauf scientifique. C’est un exercice qui n’a aucune valeur de démonstration. De la même manière que Michel Onfray s’attache à nous prouver que les religions sont dangereuses en soi, nous pourrions nous amuser à démontrer que tous les artisans sont des voleurs, que la Police Nationale est le berceau de la corruption, que l’Education Nationale est un refuge pour pédophiles etc. il nous suffirait, dans chaque cas de trouver une poignée d’exemples allant dans ce sens, et de conclure que, puisque certains plombiers, policiers ou enseignants ont pu être voleurs, corrompus ou pédophiles (voire les trois à la fois pour certains) c’est qu’ils sont eux-mêmes dans un système pervers qui génère, voire entretient et légitime de tels comportements.
Ce qui est grave avec le Traité d’Athéologie c’est que partant de constats intéressants et importants, la réflexion aboutit, faute d’avoir été construite d’une manière logique et objective, à des conclusions aberrantes. Que nous apprend-il, finalement, ce livre ? Que les monothéismes sont forcément synonymes de haine, de violence, de refus de la vie ? Celui qui a envie de contrecarrer ces points de vue n’a qu’à sortir de sa manche quelques exemples allant dans le sens contraire (et, qu’on le veuille ou non, ces exemples existent) et la conclusion s’écroule. Les monothéismes, portés par la pulsion de mort seraient responsables de l’essentiel des crimes commis dans le monde ? Même les crimes du nazisme qui ne serait en fait qu’un petit cousin, pas si éloigné que cela du christianisme ? II suffit d’apporter quelques exemples de crimes contre l’humanité qui ont n’ont pas été perpétués au nom d’un Dieu ou d’une religion (et hélas, on en trouve aussi) et là encore, l’édifice s’effondre.
Au final, que reste-t-il ? Un débat aussi vain que malsain sur le nombre de morts que l’on peut imputer aux religions, sur ceux qui ont été tués par des « athées », sur les religieux qui ont été massacrés en raison de leur foi... Et cette logique de comptabilisation des morts va loin : d’un côté on chipote sur le nombre des martyrs chrétiens, pas si nombreux que ça, au fond, de l’autre on renchérit en tirant à la baisse les victimes des guerres de religions. Nous ne sommes plus, ici, dans le domaine de la philosophie, mais dans des mathématiques sordides qui n’apportent aucune consolation aux victimes, de quelque bord qu’elles soient. C’est vrai que la marche du monde n’a rien de réjouissant. Les génocides, les guerres, civiles ou non, les guérillas, les prises d’otage, les attentats, les intégrismes, qu’ils soient religieux ou politiques, tout cela est extrêmement déroutant et déstabilisant. Pour que toutes ces horreurs conservent malgré tout un minimum de sens, il faut bien que l’on puisse désigner des coupables, des responsables qui, en assumant la charge de toutes ces atrocités, dédouanent le reste de l’humanité.
Le problème, c’est que cette culpabilité, on ne va quasiment jamais la rechercher chez les individualités : on l’attribue généralement collectivement à des grands principes ou à des groupes humains définis dans une globalité anonyme (les juifs par exemple). On a autrefois fustigé (et là encore, très souvent à juste titre) le communisme, les fascismes. Aujourd’hui on s’en prend plutôt au libéralisme, à la mondialisation, aux religions etc. Admettons : beaucoup de crimes ont été commis au nom de ces principes et il ne s’agit pas de les évincer. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le communisme, le libéralisme, le christianisme ou le nazisme n’ont jamais tué personne. Ce ne sont pas des principes qui ont tué, mais des hommes, des individus qui avaient leurs propres raisons de se dire chrétiens, nazis ou communistes pour justifier leurs crimes.
Nous avons du mal à comprendre comment Michel Onfray, qui a pourtant affirmé par ailleurs son intérêt pour l’individualisme a pu commettre une telle erreur. Et la responsabilité individuelle, qu’est-elle devenue ? Non, ce n’est pas la faute de la religion si untel décide d’aller se faire exploser dans un bus en Irak. Ce n’est pas de la faute de la religion si untel estime qu’il faut mieux laisser une jeune fille être malheureuse toute sa vie plutôt que de lui offrir la possibilité d’avorter. Ce n’est pas la faute de la religion si untel juge que son fils doit être circoncis ou sa fille excisée. Chaque acte posé, quel qu’il soit, est avant tout le fait d’un individu. Que cet individu s’applique à justifier ses vices, ses pulsions, ses délires en les rattachant à un principe plus vaste (qu’il soit religieux, philosophique, politique, éthique, peu importe) c’est possible, mais là n’est pas l’essentiel. Ça ne retire rien au fait qu’il est fondamentalement responsable de ses actes.
Certes, certains principes, dont les monothéismes, ouvrent de vastes boulevards à tous ceux qui cherchent un moyen de légitimer leurs pulsions négatives, guerrières ou autres. Le principe de la foi (qui rend possible le rejet de la raison) associé à l’extrême diversité des textes sacrés (qui peuvent dire tout et leur contraire) permet de quasiment tout justifier, le meilleur comme le pire.
Avec son Traité d’Athéologie, Michel Onfray rate sa cible (sauf si cette cible était de faire parler de lui : dans ce cas il l’a atteinte). En s’en prenant aux monothéismes il s’en prend finalement à tout le monde et à personne. Les croyants qui vivent sans faire de mal à leur prochain se sentent à juste titre agressés ; ceux qui sèment la terreur et la mort ne sont en rien menacés. Au contraire, ces derniers sortent de tout cela fortifiés. On leur fait l’honneur de ne pas les considérer pour ce qu’ils sont : des individus abjects qui font passer leur goût du sang sur le compte d’une croyance religieuse, mais pour des martyrs condamnés, non pas pour les actes qu’ils commettent, mais en raison de leur foi.
Si l’athéisme n’est pas capable de s’offrir des armes un peu plus subtiles que ce Traité d’Athéologie les intégristes religieux ont encore de beaux jours devant eux !
Stéphane Beau
La Presse Littéraire n°2, janvier 2006

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