LE CHEMIN VERS LE BAS CONSIDÉRATIONS D’UN RÉVOLUTIONNAIRE ALLEMAND SUR UNE GRANDE ÉPOQUE (1900-1950)

Franz Jung, traduction de Pierre Gallissaires, Édifions Agone, 2007.


Quelle époque fascinante que ces quelques décennies qui s’étendent, en Allemagne, des années précédant la première guerre mondiale à la montée hégémonique du nazisme dans les années 1930. Époque incroyable où Berlin aurait pu devenir le centre intellectuel et culturel du monde, où les idées les plus folles se mêlaient aux utopies les plus douces, où les idées les plus modernes, les plus émancipatrices côtoyaient les pensées les plus conservatrices et les plus réactionnaires.
Le monde le plus beau aurait pu surgir de cette bouillonnante marmite, et c’est le pire qui est survenu : Hitler, la Seconde Guerre mondiale, la Shoah, le mur de Berlin, la guerre froide...
Pourquoi le monde a-t-il choisi la voie de l’horreur, de la haine et de la folie ? Cette question restera certainement à jamais insoluble. La lecture du Chemin vers le bas nous apporte néanmoins quelques pistes de réflexion intéressantes. Franz Jung a très tôt choisi son camp : la révolte. Révolte contre sa famille, contre le système, contre les lois, contre la morale. Sa vie, sur laquelle il jette un regard sans concessions, est placée sous le double signe de l’errance et de la rupture : mari instable, père absent, écrivain intermittent, homme d’affaire, éditeur, il semble voler au-dessus de sa vie sans jamais y adhérer pleinement :
« Je ne fus en effet pas long à remarquer que je m’étais pas mis en route pour me façonner à la société mais pour en être écarté. » (p.38)
Cette révolte l’entraîne très tôt à rejoindre les rangs des spartakistes, puis, au fil des événements, à se rapprocher de la Russie, où il s’exile quelque temps, et où il prend en charge plusieurs entreprises industrielles qu’il a pour mission de remettre sur pieds. L’absurdité et la rigidité du système soviétique, qui réduisent la plupart du temps ses efforts à néant, le plongent dans une période de doute intense dont il ne se remettra jamais vraiment : « C’est le besoin instinctif d’édifier la société, de renouveler et d’approfondir constamment la cohésion sociale qui anime l’individu et non pas le déluge de mots des théories, articles de foi et directives qu’il doit apprendre par coeur. Je peux le dévoiler à messieurs les dirigeants : l’individu crache sur ce fatras. » (p.159) Son dégoût est tel qu’il en arrive même à penser que « l’individu doit être compté, biologiquement parlant, au nombre des êtres vivants parasitaires. » (p.438).
Au-delà de ses souvenirs et des aléas de sa propre vie, Jung nous redessine toute une époque pleine de violence et d’espoir, une époque de meurtres officiels (guerres, répressions de révoltes) et de brutalités révolutionnaires. Il nous rappelle que jamais, entre 1914 et la montée du nazisme, le climat de violence n’est retombé d’un degré. « On fait grand bruit autour de Hitler et de ses contemporains, mais les racines remontent à ces années dont je parle ! La graine, en levant, a pris des proportions gigantesques... Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on songe au climat qui régnait alors en Allemagne ». (p.126) Bref, encore un très bon livre proposé par les pertinentes éditions Agone, dont le catalogue ne cesse de s’enrichir.
Stéphane Beau
La Presse Littéraire n°11, septembre 2007


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