LE PASSAGE DU COL
Alain Nadaud, éditions Albin Michel, 2009
Deux ans après Si Dieu existe, Alain Nadaud est de retour avec un roman dont nous pouvons déjà prédire qu’il fera date dans sa bibliographie : Le Passage du col. L’action se passe au Tibet, de nos jours. Le héros, dont le lecteur ne sait pas d’emblée s’il s’agit d’Alain Nadaud lui-même ou d’un de ses doubles littéraires, fait la connaissance de deux moines tibétains qui lui proposent de les accompagner jusqu’à leur monastère perdu dans les montagnes, pour qu’il témoigne des conditions de vie qui sont les leurs, sous la domination de l’autorité chinoise. Mais ce qui ne devait au départ être qu’une belle balade touristique va rapidement se transformer en un parcours initiatique qui, de passage de col en passage de col (dont certains n’ont rien à voir avec les sommets enneigés !) mène le héros aux portes de lui-même. La route sera belle mais non dénuée de risques ni de rebondissements aux conséquences tragiques.
On retrouve bien sur dans cet opus tous les ingrédients habituels des romans d’Alain Nadaud : cet intérêt extrême pour tout ce qui touche à la mémoire et à la transmission de cette mémoire, son amour des livres et sa tendresse pour tous ceux qui, dans l’ombre, parfois de manière anonyme, permettent que certains éléments du passé ne disparaissent pas à tout jamais dans l’oubli. On retrouve aussi son goût pour le mélange des formes d’écritures dans la manière dont le déroulé narratif de son roman est entrecoupé d’intermèdes au cours desquels il raconte les différents rêves qui viennent troubler le sommeil de son « double ». Si je parle de « double », ce n’est pas par hasard, car les rêves du héros du roman sont particuliers : à chaque fois ils redonnent vie à un des protagonistes des précédents romans d’Alain Nadaud lui-même. Et petit à petit, l’intrigue qui semblait devoir se dévider très tranquillement s’emmêle terriblement. Le narrateur rêve-t-il simplement des personnages de ses livres précédents ? Tous ces « doubles » qui lui ressemblent comme des frères ne sont-ils pas plutôt d’autres lui-même, des incarnations qui, depuis des siècles, poursuivent à travers lui la même tâche : devenir cet écrivain qu’il rêve d’être et dont il sent, au plus profond de lui qu’il n’a toujours pas réussi à écrire LE livre qu’il porte au plus profond de lui.
Qui donc, au final, tient la plume du livre que nous lisons ? Alain Nadaud lui-même (celui qui est allé au Tibet) ou Alain Nadaud... lui-même (celui qui n’est pas allé au Tibet mais qui est la dernière réincarnation du narrateur du livre et qui nous narre l’histoire du précédent Nadaud !) ? Il y a de quoi perdre son latin dans cette très belle mise en abîme dont on ressort troublé et perplexe. Avec ce livre, Alain Nadaud nous propose une très subtile réflexion sur le sens de la vie et bat rudement en brèche cette notion d’identité à laquelle nous sommes si fermement attachés en Occident. Au fur et à mesure que les chapitres défi lent, une certitude s’installe : nous ne sommes jamais celui que nous pensons être. Nous sommes à la fois beaucoup plus... et beaucoup moins. A un moment du récit, le narrateur (Alain Nadaud ?) laisse entendre que ce livre (celui que nous tenons dans nos mains ?), véritable synthèse de toute sa vie passée ne pourra être que le dernier, qu’il ne pourra jamais plus publier quoi que ce soit ensuite... Et c’est vrai que, quelque part, on s’interroge sur la manière dont Alain Nadaud (le vrai !) pourra rebondir après avoir accouché d’un tel ouvrage bouclant de si par faite manière la boucle de son œuvre ! Car il a placé cette fois la barre très haut en se condamnant, pour les années à venir, soit à se réinscrire une fois de plus dans le cercle de création dont il vient d’achever le tour (autrement dit : à commencer à tourner en rond !), soit à s’engager dans une voie complètement nouvelle... soit... à poser définitivement la plume ! Mais nous ne sommes pas inquiets pour Alain Nadaud qui ne manque pas de cordes à son arc et qui nous prouvera très certainement, dès son prochain livre, que cette inquiétude n’avait pas lieu d’être.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°16, mai 2009
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