BRULONS TOUS CES PUNKS POUR L’AMOUR DES ELFES

Julien Campredon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2008



Je ne sais pas trop pourquoi, mais Julien Campredon me fait fortement penser à Jules Laforgue. La comparaison lui convient-elle ? Je n’en sais rien. Peu importe : sous ma plume, c’est un sacré compliment ! Et puisque ladite plume, justement, ici, c’est moi qui la tiens, je suis libre de faire les comparaisons qui me chantent ! Il y a du Laforgue, donc, chez Campredon. On retrouve en effet chez le second quasiment tous les ingrédients qui font le charme du premier, et en tout premier lieu ce sens de l’humour noir, désabusé mais tellement précautionneux d’autrui que même quand il mord ou quand il fonce dans le tas, il ne peut pas s’empêcher de nous prodiguer une ultime caresse, un dernier sourire, comme pour s’excuser de nous avoir bousculé. La comparaison entre Campredon (le Toulousain) et Laforgue (le Tarbais) me semble à ce point évidente que je serais presque tenté de donner aux nouvelles qu’il nous offre dans Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, le sous-titre de Nouvelles Moralités Légendaires.
La douzaine de nouvelles qui composent le volume de Julien Campredon propose de subtiles variations sur l’absurdité du monde, sur l’amour des livres, de l’art, mais surtout sur l’impossible communication des humains entre eux. Dans les univers déjantés qui hantent son cerveau et qu’il nous déroule au fil des pages, les hommes et les femmes ont beau se croiser dans des réalités qu’ils croient communes, à chaque fois ils doivent se rendre à l’évidence : ils ne parlent pas la même langue, ils ne poursuivent pas les mêmes rêves, les mêmes destins, ou encore, ils évoluent dans des univers parallèles qui se rapprochent parfois mais ne fusionnent jamais. Et c’est ce terrible constat de la victoire finale et inéluctable du solipsisme qui donne aux nouvelles de Julien Campredon toute leur valeur et toute leur force tragique. Et c’est sans doute pour atténuer quelque peu la violence de cet implacable constat de folie humaine qu’il enrobe ses nouvelles, un peu trop, parfois, à mon goût, de couches de loufoquerie et de délires abracadabrantesques dont il espère sans doute qu’elles aideront à faire passer plus aisément la pilule. Ce procédé n’est pas sans me rappeler, une fois de plus, l’écriture de Jules Laforgue qui, lui aussi, submergé par l’écrasante réalité de l’absurdité de la vie avait réagi, dans un premier temps, en remplissant ses Complaintes de grimaces, de clowneries, de jeux de mots et de blagues potaches. Avec les années, Laforgue avait su évoluer et dans ses derniers vers, il avait su garder toute la puissance et tout le désespoir de son chant en le débarrassant peu à peu du voile pudique de son humour grinçant et de certaines de ses pitreries superflues.
Julien Campredon suivra-t-il l’exemple de Jules Laforgue ? Il est assez grand pour en décider tout seul nous le verrons bien dans ses prochains livres, car c’est un auteur qu’il faudra garder à l’œil. Je reste néanmoins convaincu que son message est fort et que sa voix est belle, et qu’il a tout à gagner à laisser tomber un peu le masque derrière lequel il se cache encore.
Stéphane Beau
Le Magazine des livres n°15, avril 2009

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