L’EMPREINTE DU PASSÉ
Jean Valogne, éditions du Petit Pavé, 2010

L’empreinte du passé de Jean Valogne est une magnifique fable psychologique, un très subtil conte sur le racisme ordinaire et sur les grandeurs et les petitesses de la nature humaine.
L’histoire ? Elle se situe quelque part dans le sud des États-Unis. Dans une maternité, une femme vient d’accoucher. Son fils est en parfaite santé mais le médecin et les sages-femmes masquent difficilement leur gêne. De retour au « Maïs d’or », la taverne tenue par Tom, son mari, brave type un peu bourru et profondément myope, la petite vie de famille commence à s’organiser. Tom est fou de joie et d’admiration pour son fils. Il ne remarque pas que, peu à peu, son bistrot perd sa fidèle clientèle et que, depuis quelques temps, le personnel noir pose sur sa femme un regard singulièrement différent. Pourquoi ? Parce que le petit garçon, bien qu’étant irréprochablement blanc possède quelques caractéristiques qui ne laissent aucun doute à toutes celles et tous ceux qui ont déjà pu observer de près un enfant noir. Pour eux le doute n’est pas permis : le fils de Tom est un métis
Pour les habitants de la ville, l’explication est évidente le bon vieux Tom porte une monumentale paire de cornes. Et pas n’importe quelles cornes sa femme a osé coucher avec un noir, ce qui, dans l’esprit buté de ces sudistes est mille fois plus grave qu’un simple adultère. Et pourtant, adultère il n’y a pas eu : madame est formelle sur ce point... Alors quoi ? Alors, je n’en dirai pas plus ici sur l’intrigue de ce superbe livre.
Une fois de plus, Jean Valogne (mystérieux écrivain qui aurait, paraît-il, publié plus d’une centaine de livres – les plus dubitatifs peuvent aller vérifier sur le catalogue de la BNF) nous propose une histoire sans fioritures ni chichis inutiles, essentiellement basée sur la psychologie des personnages. Les amateurs de sang, de rebondissements, de sexe et de violences resteront sur leur faim. Les héros de Valogne (c’était déjà le cas dans Destins croisés au bagne de Cayenne, roman également publié aux éditions du Petit Pavé) sont des êtres simples, normaux, confrontés à des sentiments complexes comment, lorsqu’on est une femme qui sait très bien qu’elle n’a jamais eu d’aventure extraconjugale, expliquer à son mari que son fils est à moitié noir ? Comment peut-on, quand on est un homme normal, vivant dans le sud des États-Unis, dans les années cinquante, mettre son orgueil dans sa poche et continuer à aimer une femme potentiellement adultère et un enfant indéniablement métis ? Comment supporter le regard désapprobateur ou moqueur des autres blancs et les regards complices et parfois grivois des noirs, trop heureux pour certains de voir leurs maîtres pris dans un tel pétrin ? Et c’est là tout le talent de Jean Valogne que de réussir à bâtir, sur ces intrigues minimes, des histoires généreuses peuplées de héros aux destins finalement exemplaires.

Stéphane Beau
Le Grognard n°14, Juin 2010

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