CAR LA NUIT SERA BLANCHE ET NOIRE
Joseph Vebret, Editions Jean Picollec, 2009


Curieux livre que le dernier roman de Joseph Vebret. Curieux mais très réussi, car bien que donnant une impression de grande fluidité et se lisant avec aisance, il est bien plus complexe qu’il n’en a l’air, au premier abord, et est incontestablement le fruit d’un minutieux travail d’équilibriste de la plume. Aussi, bien malin celui qui saurait dire, à brûle-pourpoint, dans quelle catégorie on peut le ranger, cet étrange roman, tant l’auteur s’amuse à jouer avec les codes et les conventions habituelles.

L’histoire commence de manière assez classique, pourtant, en nous brossant le portrait presque éculé du héros, auteur en plein doute, victime de la crampe de l’écrivain, harcelé par son éditeur, fumant trop, buvant encore plus, et étant quelque peu perdu dans ses histoires d’amour et de famille. Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous. Et bien si, pourtant, car malgré le fait que ce type de personnage ait déjà été mis en scène des centaines de fois, dans la littérature ou au cinéma, Joseph Vebret parvient néanmoins, et avec une facilité déconcertante, à nous rendre son héros attachant et à nous intéresser à son sort.

Et alors que nous sommes tranquillement installés dans notre fauteuil, attachés à suivre les tribulations de cet écrivain en perdition entre deux livres, deux amours et deux verres de vodka, voilà que soudain, sans crier gare, l’histoire s’emballe, s’emmêle et que nous perdons pieds. Le personnage principal, qui a enfin décidé de tourner une page de sa vie en réglant ses comptes avec sa famille se lance dans la rédaction d’une vaste saga dans laquelle il met en scène ses parents, ses frères et sœurs, etc. Bientôt, il remarque qu’au fur et à mesure qu’il boucle ses chapitres, ses vrais parents, dont il vient de dresser le portrait, meurent tour à tour.

Le rythme du roman s’accélère encore et nous entraîne dans une douloureuse histoire de secret familial où le présent et le passé s’imbriquent sans cesse et où la fiction joue à cache-cache avec la réalité. Qui était réellement ce grand oncle mort dans des circonstances étranges lors de la première guerre mondiale ? Les morts subites des membres de la famille du héros ont-elles un lien direct avec le livre qu’il est en train d’écrire sur eux ? Fini le roman psychologique, nous voici en plein thriller !

En plein thriller ? Non, mais en plein dans la littérature, celle qui se fout des genres et des modes, qui se moque de savoir si elle est « moderne » ou « vendeuse ». Celle qui ne se soucie que du plaisir et de la magie de l’écriture. Et dans ce domaine, Joseph Vebret est dans son élément. Sa phrase est ample et soignée, ses propos sont truffés de citations et de références à ses illustres prédécesseurs, notamment Gide qui occupe une grande place dans ce roman.

Bref, sacré livre que ce Car la nuit sera blanche et noire qui, au final, nous délivre une belle et riche réflexion sur la littérature, sur ces ponts qu’elle tend entre le rêve et la réalité, et sur cet acte inouï qui hante tant d’humains sur cette planète et qui consiste à perdre une grande partie de sa vie à écrire des romans, des poèmes, des nouvelles, pour y raconter cette vie, justement, qu’ils ne prennent pas le temps de vivre…

Stéphane Beau

Blog du Grognard, avril 2009

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