CAPITAINE CORCORAN

Alfred Assollant, Le Serpent à Plumes, 2006



Alfred Assollant ? Un nom qui ne parle plus forcément à grand monde. Né en 1827, mort en 1886 ce journaliste, auteur de nombreux romans historiques ou d’aventures s’est fait voler la vedette par les ténors du genre que sont les Jules Verne et autres et H.G. Wells. Il faut dire qu’Assollant a sévi dans un genre qui ne fait guère de cadeaux à ses représentants : le roman populaire. Dans cette succursale de la littérature rares sont ceux qui parviennent à se faire un nom et, plus encore, à forcer le respect. Tout au plus, dans ce domaine, peut-on espérer décrocher le statut d’auteur de livres pour enfants et adolescents. Cette relégation est bien souvent injuste et infondée. Les aventures du Capitaine Corcoran nous en apportent une preuve aussi brillante qu’agréable.
Ecrit en 1867 et publié pour la première fois dans la « Bibliothèque rose » de Louis Hachette, le livre nous expose les prouesses d’un jeune capitaine malouin, Corcoran et de son inséparable alliée, Louison, la tigresse du Bengale. Le style, volontairement épique, fait fi de toute vraisemblance. Corcoran, sorte d’ancêtre d’Indiana Jones, possède à lui seul la force de cinquante hommes. Drôle, insensible à la peur, il parle un nombre incalculable de langues, converse d’égal à égal avec n’importe quel scientifique, quel que soit le sujet, et affiche en toutes occasions un patriotisme inaltérable (associé à une haine des Anglais assez naturelle pour un descendant de Surcouf). C’est ce sympathique roman, dont des personnalités aussi diverses que Jean-Paul Sartre, Léon Daudet ou Maurice Leblanc ont pu dire l’importance qu’il a eue dans leur évolution personnelle, que les éditions du Serpent à plumes nous proposent de redécouvrir.
L’histoire ? Rocambolesque à souhait, comme il se doit. Invité par l’Académie des sciences de Lyon à aller rechercher en Inde, « dans les montagnes des Ghâtes, vers la source du Godavery » un livre sacré (le Gouroukaramtâ) Corcoran se retrouve rapidement entraîné à combattre au côté des hindous qui résistent tant bien que mal à l’hégémonie britannique. Il devient le bras droit du maharajah de Bhagavapour qui, au moment de rendre l’âme, lui confie les rênes de son royaume et le cœur de sa fille unique, la belle Sîta.
A partir de là, le livre prend une nouvelle tournure. L’insouciant capitaine se mue en homme de pouvoir et Alfred Assollant romancier cède en partie la place au démocrate et au républicain que les lecteurs de ses chroniques connaissaient bien. Devenu Maharajah, Corcoran décide de révolutionner les mœurs de son nouvel univers. Il allège au maximum les taxes et les impôts, organise une armée de métier, pose les bases d’un régime parlementaire. Malgré cela, le peuple, qui a pourtant souffert depuis toujours du joug de régimes brutaux et injustes, ne le suit qu’avec réticences et prête facilement l’oreille aux traîtres qui veulent le destituer. Et il y a les Anglais, dont Corcoran a décimé les armées à plusieurs reprises, qui s’acharnent contre lui. Il constate rapidement qu’il ne peut faire confiance à personne et que, malgré tout son courage, il ne pourra pas empêcher la survenue du pire : la chute de son royaume et la mort pour finir de ceux qu’il aime et de lui-même. Pourtant, il refuse d’abandonner et choisit d’accepter son sort. Alors que tout s’écroule autour de lui il ne devra sa survie qu’à l’arrivée miraculeuse d’un de ses amis qui, véritable deus ex machina l’emportera dans une mécanique volante de son invention sur une île déserte où il pourra couler des jours heureux auprès de sa femme et de son fils.
Au-delà du caractère « abracadabrantesque » de ses tribulations, le roman d’Alfred Assollant s’avère au final être une petite fable que nous aurions presque envie de qualifier de philosophique sur la question du pouvoir et sur les différentes manières de l’exercer, ainsi que sur le sens de l’engagement politique.
Stéphane Beau
La Presse Littéraire n°8, décembre 2006

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